Le Passe Muraille

Pour toute colère

Poèmes de Grégory Rateau

DE LÀ-HAUT

Vous qui jugez les uns de vos triples hauteurs,
ces jeunes illusionnés fraichement débarqués ; avec les mêmes rires glauques vous condamnez
de vos trônes empaillés, la flamme n’attend plus que l’étincelle pour exulter
dans les couloirs vermoulus de vos sociétés secrètes
où l’on distribue bons points, diplômes en vacuité, d’une main lâche
vous frappez ; préparant bien en avance vos éloges funèbres et forçant le destin parfois quand le goût du sang monte à la bouche, devient trop prégnant.
Que connaissez-vous des routes de la faim ?
pas celles qui creusent le ventre mais le tonneau insatiable, quand les têtes soudain mises à nu
tournent sur elles-mêmes en fixant le ciel pour y entrevoir un visage ami, prêt à tendre vers lui, à tout sacrifier.
Mais la constellation change de planète, sourde à leurs vers en faisant semblant d’y croire.
des mots vides, rassurants mais vains
vous êtes trop loin masqués derrière vos bronzes académiques ; sans peine vous cheminez tristes Nadirs vers les actualités du jour.
Des âmes mortes voilà ce que vous êtes et vos mots ne traverseront jamais la terre
ils ne sont plus rien.
Quand le siècle soudain se tait, votre nom lui-même s’oxyde.

FIN

C’est elle
l’angoisse glissée entre tes doigts
celle qui déclenche Le geste
aligne les mots
dans un ordre préexistant
à ta naissance
où tous les soleils te reconnaissent.
Sans elle
c’est la sensation d’une faim démoniaque
et ces perceptions glauques
durant cette nuit définitive
mais comment renouer avec la Muse ?
regagner ce territoire solaire
entre ton carnet vide et ce cendrier plein de poèmes.

À SEC

Pluies frileuses
alopécie du ciel
loin des cascades à présent stériles
qui ne viendront plus adoucir mes nuits
toutes ces « villes intérieures » du manque
ne reflètent que soupirs
parapluies décoratifs
imperméables à vif remisés
dans les zones d’ombre, inutiles
le sol craquelle
en perte de mémoire
l’herbe peine à fleurir
là où les gouttières privées d’Oasis
hurlent à l’asphalte
insensible au ruissellement de mes vers
aux gestes limites
mimant comme une farce
la tornade impossible.

FAUX DÉPART

De fenêtre en fenêtre
coulisse le vice
libre à qui
sera celle qui résiste
fureur carnassière
jeunesses à bout de flaque
Paris trop cher
abusé comme ses rues tutélaires
fondu au gris sur Haussman
dont les lourdes fumées
louvoient de-ci de-là
avec ce départ imprévu
à la pointe Nord d’un calendrier inversé
face aux mers en désertion
là où des pas trop timides
sont stoppés net
à la faveur d’un recueillement photogénique
flashbacks suspendus
Paris est déjà loin
sacrifiée aux forces telluriques
doux rêves de passagers en utopie.

FONCTIONNAIRES DE L’ART

Ils sont là ventre à terre
léchant la botte du plus assassin
reniant les lichens de l’innocence
pour signer sur de douillets coussins
leurs noms interchangeables
déjà usés sans prendre en âge
privés de colonne vertébrale
ils s’acharnent à museler
Ce qui, en nous
est frère du divin.

EN ROUTE !

Marchons d’arrache-pied
pour conjurer l’hydre du temps
la goutte de trop suppurant
des climatisations aux abois
dans l’attente du grand basculement
la terre se fracture sous des semelles en partance
pour des villes à jamais inexplorées
semblables comme des jumelles déshéritées
et tous ces corps en fuite
piétinant leurs derniers commandements
une danse macabre bien vaine
quand on sait que le vide
dans son insondable noirceur
nous éloigne du bleu soupirail
des îlots éphémères qui autrefois colonisaient le ciel.

FILS DE CHIEN

Tu parles d’un poète !
embourbé jusqu’à la moelle
loin des villes du manque
le sang en suspension
sur ce bout de pain noir
la campagne roumaine
et ses bâtards furibards
t’empêchent de couler en silence
ta détresse et ton errance
eux aussi pensent avoir le monopole :
du rejet
du vide
de l’inutile.
(Dessins et peintures de Louis Soutter)

3 Comments

  • Dominique dit :

    voilà un souffle que Léo Ferré aurait aimé.

  • Lagrange dit :

    que de colère…que de force! La jeunesse doit être révoltée sinon à quel âge le serions-nous ? L’apaisement viendra, je le souhaite à Grégory dont le talent n’est pas contestable. En attendant, écoutons son combat contre l’hypocrisie de certains milieux littéraires et les tourments de l’âme. La force des mots comme le caractère de ce jeune poète.

  • Dominique Rateau Landeville dit :

    magnifique .

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