Le Passe Muraille

Fenêtres de l’errance

 

De fenêtre en fenêtre

coulisse le vice

libre à qui

sera celle qui résiste

fureur carnassière

jeunesses à bout de flaque

Paris trop chère

abusée comme ses rues tutélaires

fondu au gris sur Haussmann

dont les lourdes fumées

louvoient de-ci de-là

avec ce départ imprévu

à la pointe Nord d’un calendrier inversé

face aux mers en désertion

là où des pas trop timides

sont stoppés net

à la faveur d’un recueillement photogénique

flash-back suspendus

Paris est déjà loin

sacrifiée aux forces telluriques

doux rêves de passagers en utopie

 

Pluies frileuses

alopécie du ciel

loin des cascades à présent stériles

qui ne viendront plus adoucir mes nuits

toutes ces « villes intérieures » du manque

ne reflètent que soupirs

parapluies décoratifs

imperméables à vif remisés

dans les zones d’ombre inutiles

 

le sol craquelle

en perte de mémoire

l’herbe peine à fleurir

là où les gouttières privées d’Oasis

hurlent à l’asphalte

insensible au ruissellement de mes vers

aux gestes limites

mimant comme une farce

la tornade impossible

 

Tu parles d’un poète !

embourbé jusqu’à la moelle

loin des villes du manque

le sang en suspension

sur ce bout de pain noir

la campagne roumaine

et ses bâtards furibards

t’empêchent de couler en silence

ta détresse et ton errance

eux aussi pensent avoir le monopole :

du rejet

du vide

de l’inutile

 

Nourri de la peau de leurs sourires

j’ai injecté en retour la cendre de ma jeunesse

sans pouvoir les toucher

sans pouvoir les retenir

Lydia, Dorothy

la Mort enfin et sa mélodie de juillet

déversent le flot d’un amour trop longtemps assoupi

les terrasses sont comme des aurores

on attend avec espoir qu’elles se remplissent

on guette Le visage

pour boire à son calice

mais le sommeil n’a que trop duré

la Seine est bien noire

je marche sur un sol grippé

entre les opiomanes des Lombards

la note au point mort

une ligne pure

un réveil définitif

C’est pour toi l’adieu fraternel
sans rancune ni regret
devant cette fenêtre radieuse
ouverte aux quatre copains
à revivre jusqu’à ma fin
nos vies glorieuses puis la dérive
de la Seine promise à des banlieues trop lugubres
console-toi des poèmes échangés
de nos jeunesses oublieuses
des serments sacrés
elle est belle notre trahison de papier

nous y sommes
roulant à côté d’autres vies
en terre d’amnésie
Je est un Autre
et pourtant ton ami
l’automne de notre rentrée est là
où les dos ronds s’agglutinent
au bahut des origines
Console-toi de nos 9 années
et de celle-ci, incomplète je le sais
toi, tu dois continuer
Moi de l’autre côté
respire un bon coup
À notre glorieuse amitié !

Ton ami Xavier

Les derniers spécimens écument les mers

privés d’équipage

de l’aura des chercheurs d’or

impossible d’imaginer une nouvelle terre

chaque parcelle hurle sa peine

seule l’aigreur fertilise encore

témoin de votre échec

d’un ultime effort

pour coloniser le ciel

l’ivresse sous contrôle

vos cris du cœur ne portent plus

tout maudit est en déroute

pourquoi continuer à vivre

à rêver en martyre

les coups de rame vous abrutissent

alors qu’il suffirait

de plier votre paquetage

de policer votre poème

de dire encore et toujours la bonne aventure

la parole qui rassure

ranger vos attributs dans une bouteille

frères et sœurs aux visages oubliés

pour ceux qui se souviendraient encore

de vous à moi mes pionniers sans peur

je vous conjure de résister encore

de sentir la brûlure, d’épouser la flamme

 

Ici sans y être

à la terrasse Des Deux Magots

où tous se figeaient :

les femmes,

les hommes,

les chiens

le souffle court,

les veines à sec,

fauchés au vol,

les pigeons des jardins du Luxembourg vrillaient au-dessus des bassins

se crashaient sur les chapeaux des vieilles bigotes

Tes pupilles devenaient noirâtres

maraîchage de toutes les peurs

une éclaircie soudaine

stupeurs éthérées

toi le bon vieux suicidé

branchée sur des voltages meurtriers

ta voix toujours au zénith martèle rimes et tombes

 

Biographie :

Grégory RATEAU est né en 1984 et a grandi à Clichy-sous-bois. Il a commencé très jeune dans la création, à 17 ans, par l’écriture de scénario et la réalisation (avec la collaboration de l’acteur Michael Lonsdale et parrainé par le cinéaste Benoit Jacquot). Ses court-métrages ont été sélectionné dans une quinzaine de festivals à travers le monde. Il a ensuite animé des ciné-clubs dans Paris (Filmothèque du quartier latin, Pagode…) et enseigné l’esthétique du cinéma au Lycée St Sulpice.

Après de longs voyages, il s’est rapidement imposé sur la nouvelle scène poétique contemporaine. Il a obtenu le Prix Amélie Murat 2023 pour son recueil Imprécations nocturnes aussi sélectionné au Prix Robert Ganzo du Festival Etonnants Voyageurs. Des critiques et des entretiens fleurissent un peu partout dont Europe, Arpa, Zone Critique, Esprit, En Attendant Nadeau, Poesibao, Les Lettres Françaises, La Cause Littéraire…

Ses poèmes rencontrent un véritable engouement, en seulement deux ans, ils font l’objet de lectures publiques dans les Instituts, les Lycées, les Universités, les Maisons de la poésie, les Festivals, publiés dans plusieurs anthologies du Le Printemps des poètes, dans un livre d’art, une cartographie de la poésie et dans plus d’une quarantaine de revues papiers et numériques en France/Corse/Haïti, au Sénégal, en Suisse, au Québec, au Portugal, en Roumanie, en Belgique, Espagne, Pérou, Liban, Italie (L’Orient le jour, Le journal des poètes, Arpa, Gustave, Le Cafard Hérétique, Place de la Sorbonne, Verso…).

Toujours en errance, il vit aujourd’hui à Bucarest où il est le directeur d’un média mais aussi scénariste. Il est également l’auteur d’un récit de voyage, Hors-piste en Roumanie (sélectionné au prix Pierre Loti, très médiatisé dans sa version roumaine publiée chez Polirom et intégré au Guide Michelin) et d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020).

1 Comment

  • Gio dit :

    J’aime beaucoup la plume de Grégory Rateau, je relis ses poèmes de temps à autres dans les deux recueils auxquels je tiens : Conspiration du Réel et Imprécations Nocturnes et je sui ravie que le Passe-Muraille lui ai fait une place.

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