Le Passe Muraille

Voyage au-delà de nulle part

À propos de Nullarbor, de David Fauquemberg

par Janine Massard

C’est un livre à nul autre pareil que Nullarbor de David Fauquemberg, un livre d’aventure dans son sens noble : quête de soi-même à l’autre bout du monde, quête aussi de ce qu’il y a de plus fondamental chez l’être humain, bref tout ce qui ne s’apprend pas à l’école et s’apprécie sur le terrain.

Etudes littéraires achevées, l’auteur fuit la machine contraignante de l’enseignement en sa mi-vingtaine, passe deux ans en Australie, explore le Nullarbor, vivant ici et là de petits boulots, et traverse les grands espaces à la manière d’un errant prêt à accueillir toute forme d’expérience. De ces années de formation, et de retour à Paris, il va tirer un roman dans lequel, par le biais d’un narrateur, il réinvente ce monde de déserts et d’eau salée.

Cette traversée est à l’opposé d’un parcours de routard ordinaire, comme ce couple d’Italiens rencontré au hasard de ses pérégrinations et qui du voyage attend de belles images. L’écriture tendue, serrée restitue dès les premières pages la perception du monde et les dispositions d’esprit du narrateur à en extraire l’essentiel, à la manière d’un Nicolas Bouvier.

Deux grands moments ressortent de ce roman en forme de récit : une partie de pêche en haute mer, où le routard aux poches vides se mue en marin pêcheur, s’embarque pour la haute mer et se retrouve bientôt prisonnier de professionnels qui assassinent des requins pour escamoter leurs ailerons avant de rejeter les bêtes mutilées ou mortes à la mer, par appât du gain puisque cette succulence interdite est cotée à quelques milliers de dollars le kilo du côté de la Chine. Peu importe si les mains et les bras du naïf marin d’occasion sont presque déchiquetés par la façon de pêcher, il faut tenir, quitte à rentrer au port couvert de blessures : l’argent l’emporte sur les êtres.

On ne peut s’empêcher, à ce stade du récit, de penser que le Léviathan de Melville a changé de milieu naturel et que c’est l’homme, désormais, le grand prédateur. Peu armé pour faire face à cette incroyable dureté, le routard n’a plus qu’une idée en tête : demander un acompte, même s’il sait qu’il va se faire rouler, et fuir, poursuivre sa quête.

Le voyage l’amènera à un autre épisode, d’une grande intensité dans les régions de Wreck Point, où il rencontrera un personnage d’exception : Augustus, un géant aborigène, un chef naturel grâce à qui la tribu familiale tient et, qui en impose par sa connaissance de la vie du désert et de la mer, de la traque au poisson dans les mangroves, des gestes indispensables pour survivre, éviter la mort tapie un peu partout, qu’il s’agisse d’un crocodile ou d’un serpent cinq-minutes – tous gestes qui assurent la maîtrise de la vie et du temps dans ces régions paradisiaques et hostiles. Augustus lui annonce que sa fin est proche avant de disparaître, mais le narrateur part à sa recherche, là où il sait le trouver, près d’un vieux crocodile édenté, dans un état de symbiose parfait entre la nature et l’homme.

Lorsqu’on referme ce premier livre, qui a obtenu le prix Nicolas Bouvier, on a le sentiment d’avoir partagé une ex-périence d’une grande force. Si le voyage change qui le vit, ce livre change la perception du lecteur sur le monde.

J.M.

David Fauquemberg, Nullarbor,

 

 

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