Le Passe Muraille

Filiations et métamorphoses du baroque

(Plafond de l’église de pèlerinage bavaroise die Wies, des frères Zimmermann)

 

Quand Fabrice Pataut évoque l’éveil artiste de Max Schoendorff

(Codicille 2)

 

La promptitude plus que la vitesse. Mieux encore : la célérité sans contrainte avec laquelle Max conçoit ce qu’il se donne très jeune pour tâche, en 43 ou 44, en regardant la vitrine de Pedrini, miroitier à Mâcon, à savoir être peintre. C’est un joli souvenir ancien qu’il rapporte avec candeur dans un entretien avec Jean-Paul Jungo. Il y a une petite peinture dans un coin de cette vitrine qui représente des dames jouant au ballon. On ne se figure pas son destin innocemment en regardant une vitrine. La vitrine joue le rôle de panneau transparent d’un diorama gonflé à la taille d’une boutique, d’une boîte géante qui ferme sur une obligation assez stricte plutôt qu’elle n’ouvre sur une liberté vaguement désordonnée, quand bien même la petite peinture serait remisée là-bas à gauche. J’imagine que Max, à neuf ou dix ans, n’y découvre rien qu’il ne sait déjà, non pas confusément mais sous une autre forme, à savoir que les matières difficiles qu’il apprendra à l’école, comme la philosophie, le latin et les mathématiques devront revêtir de nouveaux habits et réapparaître ailleurs. Ces matières de khâgne, exigeantes et contraignantes, dont la beauté tient tout entière dans leur rigueur apollinienne sont riches en bizarreries inattendues, en chausse trappes, en extravagances cachées.

 

 

Une autre incartade qui me tient à cœur : l’idée que Lubitsch et Gombrowicz sont des baroques. Max note que le rococco bavarois des frères Zimmermann photographié pour son décor d’Opérette tient à la fois du vrai et du faux. Comme avec le charme insidieux de la rigueur scolaire et le paradoxe du menteur qui dit le vrai en avouant qu’il ment, les contradictoires s’impliquent mutuellement. L’Allemagne de Lubitsch et la Pologne de Gombrowicz sont depuis longtemps des décors, des prétextes, des mirages à la fois du ventre et de l’esprit pour ceux qui ont laissey le vieille Yurop derriaire.Chacun a poussé le phantasme de l’Europe dans ces derniers retranchements : Lubitsch dans l’élégance et le faste hollywoodiens, Gombrowicz dans le dénuement des urinoirs de Buenos Aires. L’un et l’autre sans amertume, avec une ironie très drôle et très dure. Qui plus est, ils portaient tout les deux des chapeaux pour faire ce qu’ils ont fait de mieux.

C’est comme avec les dames et leur  ballon. C’est encore jouer mais avec une candeur qui n’est pas le souvenir nostalgique de l’ingénuité vite gâchée de l’enfance. Il s’agit plutôt d’une simplicité passagère qui ne connaît pas sciemment le mal. C’est juste le temps d’un jeu, le temps que la vieille Europe se défasse un moment, mais pas plus, de quelques démons.

@Fabrice Pataut

 

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