Le Passe Muraille

Une vie de papier

Hommage à Adrien Pasquali (1958-1999)

par François Conod

Décidément,
nous sommes hors du monde. (Rimbaud)

«On écrit parce qu’on lit», disait Adrien Pasquali. C’est une condition nécessaire, oui. Mais insuffisante.

On écrit aussi parce qu’on ne vit pas assez. On écrit parce qu’il manque quelque chose à ce monde. On écrit parce qu’on ne peut pas faire autrement. On écrit parce qu’il est des choses qu’on ne peut pas dire.

Depuis Eloge du Migrant, son premier livre, jusqu’au Pain de Silence, Pasquali n’a cessé de traquer l’indicible. Comme l’albatros de Baudelaire exilé sur la terre ferme, il s’est toujours senti ailleurs, déplacé, déchiré, déraciné. L’écriture était sa patrie.

Et d’abord, l’écriture des autres. Comment prendre la plume en effet quand «on n’a jamais été un enfant» ? Symptomatiquement, le premier volume du Portrait de l’artiste en jeune tisserin, intitulé L’histoire dérobée, emprunte à quelques écrivains romands leur voix, sous forme de pastiches. La littérature devient parfois jeu, non parce que l’auteur n’a rien à dire, mais – ainsi faisait Georges Perec – mais parce qu’il a trop à dire et qu’il n’a pas pu le dire de vive voix. Autre désespoir, n’est-ce pas: il y a tant d’écrivains qui disent les choses mieux que nous…

Mieux peut-être. Mais pas les mêmes choses. Notre histoire n’est celle de personne. Dès lors, comment la dire ? Pasquali commence par des fragments: Eloge du Migrant, Les Portes d’Italie. Après les pastiches, il cherche à rassembler des bribes, et c’est Passons à l’ouvrage, dont le narrateur, qui tient un journal, essaie de s’emparer du monde, d’y trouver sa place: «Le bambin devenait plus grand que le monde, se non te parti, amore, sarò morto. Vita mia dolce, e io ti farò scorta

Puis l’écrivain se lance dans la fiction, avec Un Amour irrésolu et Le Veilleur de Paris. Encore des lettres: sous forme épistolaire dans le premier livre, martelant le pavé parisien dans le second; l’alphabet s’inscrit directement dans le sol pour marquer à jamais de leur écriture, de leur empreinte, le territoire de la capitale francophone.

Suit La Matta, son chef-d’œuvre. L’histoire d’une folle fascinante, être de terreur et de pitié. La vraie vie: enfin Pasquali créait. Mais il conservait ses doutes: «Si malgré tout il lui arrive de parler, ce n’est pas pour ne rien dire, plutôt pour n’être pas entendu. Il aime les histoires, mais ce qu’il cherche, c’est une manière d’être; une ligne de conduite.»

Donc – logique – avec Le Pain de Silence, Pasquali revient à l’autobiographie. La boucle est ainsi tragiquement bouclée. Après avoir commis le crime suprême d’écrire, ou de finir par écrire à nouveau sa vérité, le criminel retourne son arme contre lui.

«Voici le temps des assassins.» (Rimbaud)

Ou encore:

«J’ai brassé mon sang. Mon devoir m’est remis. Il ne faut même plus songer à cela. Je suis réellement d’outre-tombe, et pas de commissions.» (Rimbaud, Vies)

«Non scriverò piu cosi.» (Adrien Pasquali)

F. C

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