Le Passe Muraille

Une poésie à la fraîcheur de source

Sur les sentiers de la langue romanche, en compagnie de Denise Mützenberg,

par Alfred Berchtold

Il est des actes qui s’imposent. Moi qui, pour plusieurs raisons aussi impérieuses les unes que les autres, ne pratique plus la critique littéraire, je me sens tenu de présenter ici un petit livre de 75 pages aérées, qui m’a touché.

On connaît les ouvrages consacrés à la vie culturelle des Grisons par Gabriel Mützenberg: Destin de la langue et de la littérature rhéto-romanes (Poche suisse, 1991) et Anthologie rhéto-romane (L ’ Age d’Homme, 1982). On se souvient peut-être des poèmes de Denise Mützenberg parus entre 1975 et 1983.

Or voici que spontanément, sans préméditation, les deux voies (sinon les deux voix) se rejoignent: Denise Mützenberg, fille d’Yverdon établie à Genève, publie, sous le titre Dschember Schamblin, des poèmes romanches sentant bon le bois d’arole. Et pour la joie du lecteur franco phone, ces vers imprimés sur les pages de gauche du recueil s’ accompagnent, sur les pages de droite, d’une transposition française.

Précisons ici qu’il s’agit du Vallader, romanche parlé en Basse-Engadine, notamment dans ce village de Sent, pépinière de poètes (Chasper Po, Peider Lansel, Andri Peer…) dont Denise Mützenberg connaît tous les sentiers. Éprise de cette «langue de rencontre», elle lance à la ronde la joyeuse salutation allegra, «comme on dit les amis, le vin, la vie, dimanche viendra». Elle court de mot en mot, en étrangère fascinée, qui entend les sauterelles chanter dans le ladin des lieux «silip, silip, silip !» Lieux chargés de prestige: colline du Plan Tiral et surtout cette terre de Tamangur qui inspira au poète Peider Lansel un chant mémorable. Lansel s’effrayait du déclin de la langue comme de celui de la forêt. Denise Mützenberg écrit:

Si le romanche meurt un jour vous n’en saurez rien vous, les rhododendrons les lis, les myosotis ni vous les saxifrages

Rien !

Les gens trouveront bien d’ autres mots pour vous nommer Mais le monde ne sera plus aussi riche aussi plein

Sa chanson sera blessée voix d’une guitare fissurée.

Pour l’instant les mots ladins sont encore frais et croquants comme airelles et noisettes, et celle qui s’ avoue perplexe parfois, anxieuse de savoir pour qui elle écrit (ses voisins romands ne connaissent pas la langue et les Engadinois sont si loin) est vite consolée: le bonheur gratuit d’écrire, comme on boit, comme on danse, dans l’ idiome aimé, pour l’ air et pour l’ eau «et peut- être pour Dieu qui comprend le romanche…»

Langue tout près des racines, tout près de la source, au cœur des choses, non encore empoussiérée de trop de références ! Bien sûr, elle ne peut tout dire. A Noirmoutier, l’auteur se demande: comment, en ladin, dire varech et ressac ? «Chaque langue est un filet troué.» Il faut accepter ses limites et, au coeur de la terre d’ adoption, se reconnaître d’ ailleurs. Ne sommes- nous pas tous, ici, d’ailleurs, puisque pour chacun de nous, le Jour viendra sans crier gare ?

A. B.

Denise Mützenberg, Dschember Schamblin, chez l’auteur, rue Moillebeau 32, 1209 Genève.

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