Le Passe Muraille

La vie comme un jeu de rôles

À propos des nouvelles de Jean-Paul Pellaton,

par Claire Julier

Fluide, pudique, le style de Jean-Paul Pellaton n’a l’air de rien. Il pourrait passer pour banal et pourtant, derrière les phrases simples, se cache un charme tenace et ce charme naît du regard de l’écrivain lui-même, un homme «qui vit dans l’intimité du papier et de l’encre, ces auxiliaires de l’écriture» et qui, grâce à eux, explore minutieusement l’originalité de ses personnages.

Ils habitent tant bien que mal leur vie, cherchant dans le regard des autres l’image de leur propre visage. La plupart du temps, les locataires des neuf nouvelles en trompe l’œil de Jean-Paul Pellaton vont par deux, un deux imaginaire qui console et rassure, un deux dont on se souvient et qui vous accueille au moment de la mort, un double qui vous ressemble comme un jumeau, vrai ou faux, qui marche dans les mêmes pas que vous.

Leur solitude est habitée de souvenirs affectifs qui font que, au moment où l’isolement pourrait devenir angoissant, affleurent à la mémoire et dans le cœur des visages qui accompagnent et animent les heures difficiles à vivre. C’est le souvenir d’un grand-père qui dit «avec les yeux le bonheur d’être ensemble» et qui enveloppe le mourant d’un voile de douceur. Des pages si pleines de tendresse que la mort ressemble à un bonheur extrême ! (Le lit d’à côté). C’est un adolescent qui se débat dans le trouble de la tricherie et du mensonge. Poussé à bout, il invente une vengeance et trouve en compensation une certaine pureté dans l’amitié d’un être imaginaire (Le garçon dans le grenier). C’est encore l’entrelacs des non-dits entre un père et un fils qui, par-delà la mort, tissera entre eux un réseau ténu de connivences (Poste restante).

Le nombre deux est également le principe moteur sur la voie de l’individualisation, même si elle ne débouche sur rien. L’élu tuera deux fois un dictateur et se retrouvera lui-même, sans gloire, plus anonyme qu’anonyme. L’homme passe son temps à emprunter des rôles. Un habit chasse l’autre et dès qu’il enfile une nouvelle défroque, il y croit, le temps d’une parade, d’une acclamation, le temps de jouer à ce qu’il cherche à être.

Malgré leur ancrage dans le quotidien d’aujourd’hui ou d’hier, politique ou historique, les nouvelles de Jean-Paul Pellaton sécrètent un étrange climat d’intemporalité. Dans l’immense partie de cache-cache avec lui-même, l’homme passe les pages qu’il a à vivre à porter un masque, à savoir qu’il le porte, à dialoguer avec l’autre part de lui qui n’en porte pas et ce jusqu’à l’ultime masque, celui de la mort. Là, il revient vers l’enfant qu’il a été et trouve un sourire de tendresse pour l’accompagner.

Tous les personnages de Jean-Paul Pellaton, même les plus insolites, savent jouer au jeu de la vie. Ils en possèdent la clef. Ils savent qu’elle est faite de moments mineurs qui ont tout pour passer inaperçus et que la mort, elle aussi, est ordinaire, mais que chaque instant peut être vécu autrement et devenir irremplaçable. Il y a en eux quelque chose d’unique que Jean-Paul Pellaton découvre et révèle. Si les rapports entre les êtres sont souvent difficiles – tendus, hiérarchisés, serviles, dominateurs, intransmissibles par la parole – il y a également dans le fait que nous sommes à la fois acteur et spectateur, prince et bouffon, sans en être dupes, une source d’indulgence. Jean-Paul Pellaton se penche sur notre propre contradiction avec un regard narquois et apaisé.

C. J.

Jean-Paul Pellaton, Un habit chasse l’autre, nouvelles, L’Age d’Homme, Lausanne, 1996.

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