Le Passe Muraille

Un difficile adieu au monde

À propos de Claude Courtot à contretemps, de Jérôme Duwa

 

par Fabrice Pataut

 

Merci à Jérôme Duwa d’avoir consacré une belle centaine de pages à Claude Courot (1939-2018), ou plus précisément à la mémoire de leur amitié, sous la forme d’un journal écrit régulièrement le lundi.

Je commence par la quatrième partie du livre (avril 2019) pour une raison toute personnelle : parce qu’il y est question de Gilles Ghez, par qui j’avais connu Claude, lequel n’avait pas manqué de m’introduire en douce dans L’Obélisque élégiaque (1991) comme proche de Lord Dartwood, alias Ghez. Cette raison en cache une autre : Ghez nous offre ici, pour des raisons plus objectives, une porte d’entrée dans l’œuvre de Courtot.

Voyez plutôt : Duwa note fort à propos que « rien n’est ready-made dans les boîtes de Gilles Ghez » (p. 69). On peut sans crainte pousser plus loin et avouer que le ready-made leur serait contradictoire. L’Obélisque élégiaque, de son côté, raconte une perte d’identité, celle d’Antoine. Duwa soupçonne ici « un subterfuge ‘romanesque’ que tout conteste » (p. 55). C’est qu’Antoine sent grouiller en lui trop de personnages, d’altérités disparates dont il peine à saisir qu’elles sont autant de versions diffractées de lui-même, alors que Ghez recourt dans ses dioramas non pas tant aux faux-fuyants ou aux échappatoires qu’aux détours, parfois sinueux, pour revenir sans cesse à Douglas Dartwood comme on revient en pleine gloire à sa maison natale, autrement dit à soi-même au terme de chaque voyage immobile.

Je veux dire par là qu’on ressent terriblement dans la prose de Courtot l’absence fatale d’une telle maison. Il y a bien des vitrines, des rideaux qui ondulent et des persiennes fermées, des déambulations en quête de telle porte ou de telle facade parisienne, mais pas vraiment d’intérieur à soi qui se suffise. La différence est de taille. Duwa et Ghez le savent parfaitement, d’un savoir précieux et intime. Je soupçonne que Courtot le savait aussi du même genre de savoir de façon qu’en plaçant deux fois son nom sur la couverture et la page de garde de Bonjour Monsieur Courtot !(Ellébore, 1984), il faisait plus que s’adresser ironiquement à lui-même et observait de près une solitude essentiellement pronominale—comme on dit des verbes qui ne peuvent s’employer à la forme simple qu’ils sont essentiellement pronominaux—par exemple (comme c’est drôle) repentir.

C’est en tout cas à nous de le conjecturer et d’asseoir la conjecture sur le matériau littéraire qui lui revient, propre à cette œuvre à l’écriture « syncopée, par fragments » (p. 29) dont Duwa remarque aussitôt à juste titre qu’elle est « confidentielle » (p. 30). Peu connue, bien sûr, mais surtout tissée en douce sous le sceau du secret. Et le secret est la grande arme de Courtot qui procédait chaque soir, nous dit Duwa, à « une remémoration de sa journée » (p. 63). Laquelle est bien sûr poétique et non morale, le plus remarquable ici étant non pas l’idée plutôt curieuse d’en revivre ad libitum les évènements remarquables, que dans celle d’une mémoire qui contient en dépôt des existences littéraires préalables (notamment celles de Nerval et de Hölderlin). Qu’est-ce donc que ce sédiment dont tout (la stratification, l’incrustation) laisse à penser que la mémoire du jour a, comme parfois le meilleur vin, du dépôt ? Sans doute une sorte très particulière d’hésitation non pas tant timide qu’excessivement réfléchie. Le texte de Duwa, qui tourne lentement autour du travail littéraire de Courtot, le laisse soupçonner.

On trouvera dans ce livre de nombreux aperçus sur la littérature—française, le plus souvent, avec un goût prononcé pour les classiques et les romantiques—, l’histoire du mouvement surréaliste, Breton, Schuster, la Belgique, la Rome baroque et, toujours, un Paris merveilleusement gris et pluvieux, le Paris démodé des rues pavées, des cafés et des cimetières. Il faut le dire, car c’est aussi la matière de ce livre, qui est finalement un livre d’hommage aux lieux fétiches d’un homme voué à une bibliothéque partiale et personnelle. Chacun y découvrira son Courtot en s’attachant à tel ou tel souvenir. Et comme les souvenirs d’autrui sont toujours un peu fourbes, on pourra apercevoir l’homme caché au fond de la forêt, profitant de l’ombre épaisse d’un chêne de la Schwarz Wald, ou alors, à en croire les dernières pages du livre de Jérôme Duwa, en conversation à Weimar avec le Diable. Une fréquentation douteuse mais sans nul doute nécessaire au vu des circonstances qui ont mené un écrivain très intime à mener fièrement sa barque en marge du surréalisme, des modes, des diktats, et surtout de lui-même, comme si la fréquentation de son moi profond restait malgré tout la plus dangereuse de toutes.

Jérôme Duwa, Claude Courtot à contretemps, Main forte, 2021, édité par l’Association des amis de Benjamin Perret, 107 pages, 15 euros.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *