Le Passe Muraille

Un conte de la folie peu ordinaire

À propos de Monstrueuse féerie de Laurent Pépin

par JLK

Un certain Laurent Pépin, surgi l’autre soir de la nuit numérique, m’a demandé si j’étais d’accord de lire et peut-être de parler de son «conte psychiatrique» intitulé Monstrueuse féerie, ce que j’ai hésité à faire malgré ma suroccupation de ces jours, mais je l’ai accepté dans ma débonnaireté coutumière (je n’aime pas refuser) en craignant un peu de décevoir le lascar (je n’aime pas étriller)…
Or la chose, proposée en PDF sous une couverture chamarrée chinoisante, m’a tout de suite intéressé par sa découpe verbale et sa façon de réinvestir l’esprit du conte, mêlant étrangement une pure figure de sublimation, sous les traits féeriques d’un elfe féminin, et les miasmes les plus inquiétants de la psychopathologie.
Le narrateur de ce récit « panique » (qui m’a, de fait, rappelé l’esthétique du mouvement illustrée par Roland Topor et Fernando Arrabal), qu’on dirait à la fois une romance pour ados et une anamnèse lourdement factuelle de psy aussi gravement atteint que ses patients (qu’il appelle Monuments et déclare dotés d’antennes poétiques plus vibrantes que ses collègues théoriciens), est un personnage-gigogne au double titre d’amoureux transi d’une jeune fille autoproclamée elfe et ne s’attachant à lui que de manière détachée, et de psychologue professionnel spécialisé dans l’écoute des «malades volubiles»… Juge et partie, il oscille sans cesse entre réalité et fiction, rêveur en 3D et ses fantasmatiques avatars…
L’on pense assez naturellement, aussi, au psychanalyste austro-américain Bruno Bettelheim en découvrant, sous les figures plus ou moins métaphoriques du récit, les monstres qui ont hanté et continuent d’effrayer le narrateur, avec deux figures parentales frisant le gore voire l’abracadabrantesque – et c’est la faiblesse à mon sens du roman – auxquelles le narrateur s’efforce d’échapper avec l’aide de l’Elfe insaisissable et des Monuments titubants non moins que sémillants – tout cela parfois un peu confus, ou retombant dans le premier degré anecdotique, et cependant porté par un style vif aux trouvailles – d’images ou d’expressions – souvent étonnantes.
Commençant de lire cette Monstrueuse féerie, et parfois à haute voix, à côté de l’ancienne enseignante spécialisée Lady L., celle-ci s’est montrée également intriguée et même touchée par les détails liés aux « monuments», lui rappelant ce qu’entre professionnels avertis on rapporte de l’inventivité verbale des «fous».
Pour ma part, je ne prise guère la «littérature» visant à exalter trop facilement l’aliénation : ce qui m’émerveille souvent dans l’art brut (chez un Adolf Wölflli, notamment, entre beaucoup d’autres) ne me fait pas oublier la misère ou la souffrance des aliénés.
Cependant, et d’un autre point de vue, un Robert Walser ou un Jean-Marc Lovay ont hanté eux aussi ces «marges» sans basculer dans la confusion (les textes de Wölffli, significativement, sont si incohérents qu’ils ne peuvent nous toucher autant que son imagerie plastique), et de même Laurent Pépin parvient-il, ou peu s’en faut, à éviter un douteux «romantisme» en la matière, grâce à l’esprit critique qui filtre au long de son récit – avec quelques piques au passage visant les théoriciens réducteurs et autres autorités en matière de formatage, sa malice aussi, une sorte de candeur dans la part fragile du protagoniste, un mélange très rare de crédulité juvénile et de lucidité plus grave qui font de ce drôle de texte un produit d’époque autant qu’un objet littéraire dont on attend la suite avec l’avidité curieuse des potes du petit Potter…
Laurent Pépin, Monstrueuse féerie. Flatland éditeur, 100p.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *