Le Passe Muraille

Un chant d’amour et de mort

 

À propos de Tristan meurt d’Antonio Tabucchi,

par Sylvie Blondel

 

Antonio Tabucchi a, paraît-il, l’habitude d’écrire dans la touffeur des après-midi d’été. Le héros de son dernier roman (mais qu’est-ce qu’un héros) n’a plus qu’un petit mois à vivre, au coeur du mois d’août quelque part en Toscane. Son corps est glacé, pétrifié, gangrené, à peine soulagé par la morphine que lui injecte parcimonieusement la Frau, sa gouvernante.

Il dialogue avec « l’écrivain » venu recueillir ses dernières paroles. Cet écrivain serait l’auteur d’un roman sur la vie de Tristano, jeune soldat italien en Grèce occupée par les nazis et l’armée de Mussolini, dans les années 40, puis résistant antifasciste en Italie… à moins que ce ne soit un roman à venir. À chaque page, le doute s’insinue, alimenté par le rêve, l’oubli, le souvenir, la nostalgie des amours défuntes, le va et vient dans le temps entre 1945 et le XXIe siècle.

L’écriture est une musique, avec thème et variation, à la manière de Schubert. Tabucchi s’inspire du musicien et de sa Rosamunda, il lui emprunte ce prénom pour évoquer des figures de femmes aimées, disparues, retrouvées. Femme salvatrice, Daphné, la jeune Grecque aux yeux immenses qui ouvre sa porte au soldat italien qui vient de tuer un nazi, premier acte de résistance spontanée à la bête immonde. Femme traîtresse, femme abandonnée, femme à qui il n’a pas fait d’enfant. C’est toujours un peu la même et toujours un peu une autre. Exploration des possibles. L’espace est celui du souvenir oû se mêlent la Grèce occupée, l’Italie fasciste et l’Espagne franquiste. L’histoire, la politique font partie de la vie de Tristano au même titre que l’amour, les sentiments. La mort hante le personnage qui se cherche à travers un autre, à travers les autres. Face à elle, il ne reste que les rêves, ou le souvenir d’un rêve, ou le rêve d’un souvenir. L’agonie est horrible, mais la mort n’existe pas. « Les personnes ne meurent pas, elles demeurent simplement enchantées » Autrement dit, il faut croire aux fantômes, tout ce qu’on écrit devient vrai. Tristano meurt, délire, chant funèbre et chant d’amour, chant de résurrection.

Un roman en écho à Requiem (1998), consacré au poète portugais Fernando Pessoa (1888-1935) que Tabucchi a traduit et fait connaître en Italie. Parenté existentielle peut-être aussi avec le protagoniste du roman Pereira pré-tend (1998) qui est devenu un symbole pour l’opposition de gauche à Silvio Berlusconi.

Dans Tristano meurt, Tabucchi s’interroge sur la liberté : tu cherches un héros et tu trouves peut-être de la merde. Celle d’Hiroshima ? Celle diffusée par le dingo-dingue télévisuel ? Celle qui dit: «Tu as combattu pour la liberté et maintenant ta liberté, c’est d’être pensé. » Alors liberté ensevelie dans le sable jusqu’au cou, comme le petit chien du tableau de Goya, qui a déjà fait l’objet d’un autre texte de l’auteur dans Rêves de rêves. (1992)

Tabucchi n’a garde de répondre, il laisse ouvert ce fabuleux mystère de la mort, et plus encore de la vie et de l’homme.

S. B.

Antonio Tabucchi. Tristano meurt. Traduit de l’italien par Bernard Comment. Gallimard, collection «Du monde entier», 2004, 208 pages.

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