Le Passe Muraille

Une écriture en travelling

        

Un extrait inédit des Oasis de transit d’Yves Rosset

Travail au Club entre neuf heures du soir et cinq heures du matin. Retrouvé les gestes du « ramasseur ». Me suis faufilé, témoin extérieur, parmi la foule du public, une caisse vide à la main, pour rassembler les cadavres de bouteilles de bière bues ou à moitié abandonnées tant l’ivresse déjà probablement suffisait ainsi que les verres laissés derrière eux derrière elles par les %lards, par le public jeunesse, là, une élite survivante dans un rêve inspiré par le goutte-à-goutte de ladite culture. J’ai appris hier par un téléphone que j’avais gagné le gros lot et je n’ai encore, plus que jamais, plus alors que les Oasis de Transit en tête. Revenu à la maison dans une aube dont je ne me souviens plus de rien si ce n’est que par galanterie j’y ai accompagné K. jusque devant chez elle. Je pense que j’ai dû m’éblouir de bonheur en passant sur le pont Jannowitz qui enjambe la Spree et sais seulement que nous avons roulé côte à côte le long de la Köpenickerstrasse encore déserte à cette heure-ci. Bien qu’épuisé, je suis calme, aux anges,  halluciné par une bonne étoile puisqu’il y a ce luxe de pouvoir soupirer sans se terrifier en constatant l’état de lourde fatigue du corps. « Mais ils se caressent comme des enfants ! » avais-je soufflé à M.-J. en m’exclamant à un moment de la nuit, les yeux rivés sur les mille visages que je dévorais. Sinon, tout ne me qu’insaisit lorsque j’y repense. Car quelles sont les pensées, si c’est d’elles qu’il s’agit, dont l’on est traversé finalement dans ce genre de situation ? S’il te plaît, please, il n’y a plus de telle marque, les frigos qui sont trop petits, soulever, déposer, se baisser, penser à son dos, contracter les muscles du ventre, puis se sentir mal à l’aise parce que la bière est vraiment de plus en plus trop chaude pour être vendue décemment. Simultanément, s’en foutre, on n’est qu’employé par, on a même signé une petite feuille de salaire, et de toute manière les gens sont bien trop bourrés pour se rendre compte de quoi que ce soit. Vu en gros toute une jeunesse intellectuellement branchée sur une même offre de programmes et ses organisateurs techniciens : nous sommes dans l’addition multimédiale, en pleine expérience de soirée/test/festival telle que pratiquée au milieu des sixties aux USA et racontée par le grand Tom Wolfe dans son hallucinant The Electric Kool-Aid Acid Teste en 1968 dont •je suis en train de lire la traduction française: «La Révolution est imminente, comme tout le monde le sait et en est d’accord, et pourtant Seigneur, chacun a son petit manifeste ». Hendrix venu en Allemagne, plus tard le grunge, avant, les fusées Pershing et l’aide économique du plan Marshall et le beat et l’acide ensuite et ces choses-là : milliers de Zitaten, dans la salle du bar au rez-de-chaussée avaient joué des cabarettistes dilettantes, des musiciens, performances très groovantes ou très sérieuses, rires hystériques et grimaces de gays, piaillements girlies et une ligne de basse ou d’orgue telle que si les paroles étaient des psaumes de Gospel on en viendrait à croire au Seigneur : WE ARE. CRITICAL, ja yes oui No ! No ! No ! «I can’t get now satisfaction »… Tout vu perçu entendu depuis les gestes du travail, ses coulisses au minuscule salaire où glissaient mélangées à la scène, partout, incessantes, le clonage des formes, les palimpsestes de la mode, et pour moi, apprenti de toujours à l’école des femmes, une beauté après l’autre. Spontanéité amoureuse massage transfert partage ou arrachis ou tripotage ou usurpation de ladite sexualité, j’imaginais les corps qui viennent à nu et qui sont ensuite tenus ou non. Certaines des demoiselles n’étaient pas plus grandes que E. ma fille de onze ans.Je regardais leur corps pensais à l’adolescent entouré puis pénétré ou pénétrant entrant alors dans l’autre mode de l’adulte sexuel, tâches et taches des membranes, des rites se jouaient sous mes yeux jusqu’au cutané & d’autres drames ou passions comme dans l’amour romantique. Pour conjurer les apparitions je me promettais de ne pas oublier des prénoms, de les garder comme des joyaux précieux, mais hélas! je planais un peu.

Berlin, ler juillet 2002

Y. R.

Le voyage Hypertexte

L’année éditoriale romande 2005 va s’achever avec l’apparition d’un véritable OVNI littéraire, qui fera sûrement date. Les Oasis de Transit d’Yves Rosset constituent, en effet, un ouvrage atypique, cristallisation de notes prises au cours des voyages autour du monde de l’auteur bénéficiaire, en 2002, de la très substantielle bourse de la FEMS (100 000 francs suisses), lesquelles notes ont fait l’objet d’un premier état de travail, ensuite poussé beaucoup plus avant dans ce saisissant récit kaléidoscopique.

Entré en littérature avec Aires de repos sur les autoroutes de l’information, récompensé en 2001 par le Prix Georges-Nicole, et publié aux éditions Bernard Campiche, Yves Rosset (né en 1965) s’est immédiatement signalé par l’acuité de l’observation qu’il porte sur le monde contemporain et par sa façon de construire son texte en incorporant les innombrables informations simultanées qu’il nous est donné de capter, comme d’un hypertexte combinant tous les modes de perception, restitués dans un récit au langage incessamment inventif, relevant à la fois du journal de bord personnel, de l’essai critique, de l’évocation impressionniste et de la chronique. (JLK)

(Le Passe-Muraille, N0 67, Novembre 2005) 

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