Le Passe Muraille

Tours et détours de l’amour

 

À propos des Horreurs de l’amour de Jean Dutourd,

par Pol Vandromme

Jean Dutourd s’abstient de courtiser la mode. Il abandonne cette occupation aux démagogues. La modernité ne le comptera jamais parmi ses dévots.

Pour aggraver son cas, il ne conteste pas au nom de l’anarchie. Ce serait pour lui une vulgarité que de le faire. L’élégance lui paraît une tenue plus convenable, ce qui l’oblige à réagir contre les perversions et leur frime. Le naturel est son allure, à la fois familière et subversive.

Le plus méconnu de nos grands écrivains. Le plus calomnié aussi. Seule la critique de dénigrement se débarrasse de lui. On sait que la mauvaise foi lui tient lieu de rectitude et le sectarisme d’intelligence. Toutes les sortes de mondanités — la snobinarde comme la plébéienne —s’acharnent sur Dutourd. La confraternité, vigilance de la haine hypocrite, ne cesse pas de le plastiquer.

Mais ses livres ont ce pouvoir miraculeux de résister aux assauts de la violence barbare. L’épreuve de vérité — celle de la relecture — non seulement ne leur cause aucun dommage, mais encore, avec une évidence irrésistible, consacre, dans la durée, la souveraineté de leur talent. Ceux qui les ont dédaignés, pour complaire aux préjugés du temps en plébiscitant les fabrications d’époque, ne savent pas qu’ils ont déjà perdu la partie et moins encore ce que l’avenir réservera à l’effronterie de leur inculture.

Voici, chez Flammarion, le troisième volume de ses Oeuvres romanesques. Le gros de cet ouvrage, de sept cents grandes pages, est constitué par Les Horreurs de l’amour, l’un des livres majeurs — d’une richesse immense et diverse — de la littérature contemporaine.

Dans ce roman-promenade, il y a quelques-unes des pages les plus belles — nonchalantes et vives, d’un charme constant et malicieux — que l’on ait écrites sur Paris. Dans ce roman—dialogue, les mots se renvoient comme des balles dans la cour de récréation, avec une promptitude dans l’abondance et dans l’intuition, avec un sens infaillible du jeu (ce qui autorise les imbéciles, toujours à l’affût des contresens, à traiter Jean Dutourd en moraliste). Dans ce roman de hantise, qui amplifie ce que le roman d’analyse resserre, et libère ce qu’il contraint, les sentiments ont tous les droits, y compris celui de suborner la raison et de s’abandonner à leur folie

II faut insister là-dessus, parce que c’est le romanesque même. Jean Dutourd n’a pas d’idée préconçue. Le spectacle de la vie l’enchante: c’est un théâtre régi par le hasard, ironie du destin. Les hommes sont pour lui des sujets de surprise continuels: étant sans illusion sur eux, il ne s’étonne d’aucune de leurs extravagances.

On ne s’est pas souvent occupé de l’amour, sur un ton moins pathétique, mais avec une ardeur plus singulière, explorant ses abîmes en détectant ses contradictions. C’est une passion faustienne, une puissance démoniaque et suicidaire, un phénomène de possession sur lequel les exorcistes s’ingénient en vain.

Un détraquement insensible et irrémédiable; sur lui un regard de clairvoyance que guette le ricanement et un regard de compassion qui masque mal une connivence avec la forte obscure d’une nature sauvage et vagabonde. Un pessimiste gai dans les tours et les détours du labyrinthe amoureux comme un garnement dans ses farces et attrapes. Si Jean Dutourd n’avait publié que Les Horreurs de l’amour, il mériterait déjà sa place au premier rang.

P.V.

Jean Dutourd, Oeuvres romanesques, les Horreurs de l’amour, Flammarion, Paris, 1992.

(Le Passe-Muraille, No 1, Avril 1992)

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