Le Passe Muraille

Scribe des terres de l’angoisse

À propos des Œuvres posthumes de Francis Giauque,

par René Zahnd

Destin fulgurant et sombre que celui de Francis Giauque. Fulgurant parce que ce brillant adolescent à qui le plus bel avenir semblait promis n’aura vécu qu’une trentaine d’années. Sombre parce que beaucoup de ces années furent un calvaire, celles « acceptables» selon son terme trop rares, au point que exténué de souffrance, il fit une fin dans ce lac de Neuchâtel qu’il aimait tant, la nuit du 12 au 13 août 1965.

Jusqu’à aujourd’hui, il n’était guère aisé de fréquenter cette oeuvre à la fortune éditoriale hasardeuse et donc dispersée en livres et plaquettes souvent épuisés. Heureuse initiative et tardive justice donc que de réunir l’ensemble des écrits connus en un volume. Les textes de Giauque sont encadrés par une très belle préface d’Hughes Richard, son fidèle ami de jeunesse, et par le Fragment d’un itinéraire poétique de Jean-Jacques Queloz.

On y découvre la figure d’un fou d’écriture et de lecture, « foudroyé par l’angoisse », livré aux traitements implacables des asiles psychiatriques qui ne sauront le tirer des gouffres, au contraire peut-être. Le destin veut, comme s’il s’agissait encore de renforcer cette image de maudit, que la matière à notre disposition concerne presque exclusivement la période sombre de sa vie. Toute la « part solaire », l’expression est d’Hughes Richard, c’est-à-dire les pages sans doute flamboyantes et rimbaldiennes qui précèdent le naufrage, est soit perdue, soit cachée.

Nous nous retrouvons donc face à une poésie d’une nudité extrême, sans pitié : privée de chair, elle va à l’os. Souvent brefs, ces morceaux sont des éclats de mal-être livrés au papier, des éléments du pire. Mais il y a aussi un émouvant poème à la mère en allée, des soulèvements de révolte, des coulées inspirées par l’univers asilaire, une violente vindicte adressée au Seigneur, des réminiscences du séjour en Espagne. Tout ce chemin tapissé d’épines va vers l’abîme : « j’ai haussé la douleur / sur les hauts plateaux / de la solitude », note-t-il un soir, sans doute en 1964. Ou encore, heurtant de plein fouet les limites de l’écriture, qui fut sans doute son ultime refuge : «Ne trouvons plus de mots assez aigus / pour exprimer l’ampleur du désastre. »

Ce sont sans cesse, vers la fin surtout, des constats, des appels dans le vide lancés depuis «les terres de l’angoisse », Aucune autre issue ne semble possible que la mort, si fréquemment évoquée. Quelques textes en prose offrent leur écho aux frappes poétiques, dont le fameux Journal d’Enfer. De cet ensemble, on ressort secoué, parce qu’on pénètre au cœur d’une détresse humaine qui, de chutes en rares rémissions, sait l’irrémédiable : « demain la bouche pleine de terre I ne pourra même plus crier. » Mais le miracle de cette poé-sie, sa force, est justement de crier encore.

R. Z.

Francis Giauque. Œuvres. L’Aire bleue, 2005, 330 pages.

(Le Passe-Muraille, No 67, Novembre 2005)

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