Le Passe Muraille

Rêverie au jardin

Texte inédit de Marie Gaulis

Peut-être faudrait-il écouter cette musique les yeux fermés, le buste et les bras lentement oscillant comme celui d’un ours ou d’un ivrogne.

Peut-être faudrait-il, en mangeant un fruit devant la fenêtre ouverte aux cris des martinets, être entièrement attentive à la légèreté banale de ce moment, sans rien penser ni désirer d’autre.

Peut-être faudrait-il écrire comme on danse, le corps de plus en plus souple, de plus en plus dégagé de lui-même.
Peut-être ne faudrait-il passer ce mois de mai qu’à écouter le rossignol, accroupie dans les taillis mouillés, heureuse d’une joie grave et sans objet.
Peut-être faudrait-il se réjouir de tout, et se moquer aussi de ces élans tragiques – déception, rêve de pureté qui toujours se heurte à l’impassible lourdeur du mon-de.

Peut-être ne faudrait-il plus parler, mais porter une attention fine aux tâches les plus modestes, en attendant que vienne la révélation.
Peut-être faudrait-il, enfin, se perdre et ne plus revenir, laisser sur la berge tous les vieux oripeaux, et continuer de se perdre.

* * *

Dans le Jardin des Plantes aux allées de sable qui laissent une poudre blanche aux pieds, je marche lentement, émue, surprise de me trouver ici, seule. Le Jardin n’a pas quitté ses airs bon enfant, un éternel jardin de province entre la Seine et les rues Cuvier, Linné, Jussieu. Un jardin dans lequel des dames bavardent, assises sur un banc, des garçons, devant la serre qui vient de fermer, rient et regardent passer les filles, des enfants mangent des glaces et piaillent du côté de la Ménagerie.

La Grande Galerie aligne sa façade blanche et régulière, tandis que les serres, à côté, ont l’air presque baroques. Elles semblent pencher en clignant de l’œil vers le foisonnement tropical de leur ventre, dans les lueurs rosées qu’en-voie le soleil sur leurs vitres.

Les pieds poudrés, je pense à vous deux, père et fils, le mort et le vivant, qui avez aimé ce jardin. Désormais, les allées bordées de marronniers et de platanes, les bosquets où la fauche a épargné des bouquets de campanules, le pin de l’Himalaya, le fossile d’un arbre préhistorique retrouvé dans la région parisienne, le savonnier de Chine aux pendantes fleurs jaunes, la faune terrestre, aquatique et aérienne qui s’avance dans la pénombre comme pour reprendre pacifiquement ses droits, les minéraux et les météorites, mais aussi, toute proche, la cour chaulée de la Mosquée où nous avons si souvent pris le thé ensemble toi et moi, tout cela, et l’air où crisse la poussière soulevée par le vent, tout cela et plus encore, qui est dans la lumière changeante, le frais des frondaisons, l’éclat des roses, franc contre tout ce vert – oui, tout cela désormais nous appartient, appartient à ce que notre vie fut d’heureux et de léger.

A cette portion-là de notre vie, qui n’est rien en face du fossile de l’ère glaciaire que je regarde longuement, les pieds dans la poussière.

M. G.

(Le Passe-Muraille, No 42, Juillet 1999)

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