Le Passe Muraille

Pourquoi l’enfant cuit dans la polenta

 

Un texte inédit d’Aglaja Veteranyi

Je m’imagine le ciel. Il est si grand que je m’endors tout de suite pour me calmer. Au réveil, je sais que Dieu est un peu plus petit que le ciel. Sinon, nous nous endormirions tout le temps de peur pendant la prière.

Dieu parle-t-il les langues étrangères ?

Comprend-il aussi les étrangers ?

Ou les anges sont-ils assis dans de petites cabines de verre pour faire les interprètes ?

et y-a-t-il vraiment un cirque au ciel ?

Maman dit que oui.

Papa rit, il a fait de mauvaises expériences avec Dieu.

 

Si Dieu était Dieu, il descendrait et nous aiderait, dit-il. Mais pourquoi descendrait-il, puisque nous finissons tous par le rejoindre un jour? Les hommes croient de toute façon moins en Dieu que les femmes et les enfants, à cause de la concurrence. Mon père ne veut pas que Dieu soit aussi mon père.

Ici, tous les pays sont à l’étranger.

Le cirque est toujours à l’étranger. Mais dans la roulotte, c’est notre chez-nous. J’ouvre le moins possible la porte de la roulotte, pour que ce chez-nous ne s’évapore pas.

Les aubergines grillées de ma mère ont partout la même odeur que chez nous, peu importe dans quel pays nous sommes. Ma mère dit qu’à l’étranger, nous profitons bien plus de notre pays, parce que toute la nourriture de notre pays est vendue à l’étranger.

et si nous étions chez nous, tout aurait-il la même odeur qu’à l’étranger ?

De mon pays, je ne connais que l’odeur. Il a la même odeur que la cuisine de ma mère.

Mon père dit que l’on se rappelle l’odeur de son pays où que l’on soit, mais qu’on ne la reconnaît que quand on en est loin.

quelle est l’odeur de dieu ?

La cuisine de ma mère a la même odeur partout dans le monde, c’est vrai, mais à l’étranger, elle a un autre goût, à cause de la nostalgie. De plus, nous vivons ici comme des gens riches; après avoir mangé la soupe, nous pouvons jeter les os la conscience tranquille, alors que chez nous, ils doivent être conservés pour la prochaine soupe.

Chez nous, ma cousine Anika doit faire la queue toute la nuit devant la boulangerie, les gens sont si serrés les uns contre les autres qu’ils peuvent dormir en attendant.

chez nous, faire la queue est une profession.

Oncle Neagu et ses fils attendent jour et nuit, à tour de rôle, et juste avant la boutique, ils vendent leurs bonnes places à d’autres qui peuvent s’offrir le luxe de ne pas avoir la patience d’attendre. Alors, ils recommencent à attendre.

A l’étranger, on peut s’épargner l’attente.

Ici, pour faire les courses, on n’a pas besoin de temps, on n’a be-soin que d’argent.

Les gens ici ont de bonnes dents, parce qu’ils peuvent tout le temps acheter de la viande fraîche.

Dans chaque nouvelle ville, nous commençons par aller au marché et par acheter beaucoup de viande fraîche et d’œufs. Ce que je préfère, c’est la viande et le beurre.

Ici, au marché, on ne doit presque jamais attendre son tour, au contraire, ils vous traitent comme si vous étiez une personne importante et disent même merci quand vous achetez quelque chose.

l’étranger ne nous change pas. dans tous les pays, nous mangeons avec la bouche.

Le meilleur dans le cirque, c’est la cuisine de ma mère.

Elle se lève à l’aube et commence à cuisiner, plume la poule et la tient au-dessus du réchaud à gaz.

Quand nous habitons à l’hôtel, ma mère égorge la poule dans la baignoire. Quand on les égorge, les poules crient dans une langue internationale, nous les comprenons partout. Il est interdit d’égorger des animaux à l’hôtel, nous allumons la radio et faisons du bruit. Je ne veux pas voir la poule avant, car sinon, je veux la garder vivante. Ce qui ne finit pas dans la soupe part aux toilettes. J’ai peur des toilettes; la nuit, je fais pipi dans le lavabo, là au moins, les poules mortes ne remontent pas.

Toute la journée, j’attends la nuit. Si ma mère ne tombe pas du sommet du chapiteau, nous mangeons tous ensemble un bouillon de poule après la représentation.

Ma mère est la femme aux cheveux d’acier. Elle est suspendue par les cheveux au sommet du chapiteau et jongle avec des bal-les, des anneaux et des torches allumées. Si je grandis et que je suis fine, je devrai moi aussi me suspendre par les cheveux. Je dois faire très attention quand je me coiffe, ma mère dit que les cheveux sont ce qui compte le plus chez une femme.

moi par contre, je crois que ce sont les hanches qui comptent le plus.

Elles doivent être aussi larges que le chapiteau. Mais cela est incompatible avec la suspension.

Je ne serai jamais suspendue par les cheveux, je refuse, je m’arrache les cheveux par touffes entières, comme les plumes de la poule. Une femme sans cheveux ne trouve pas de mari, dit ma mère. Je ne veux pas de mari, je préfère être comme ma sœur, elle est courageuse et fait toujours des problèmes. Ma mère a de longues jambes fines, sur la photo, elle a un air japonais. Nous ne nous ressemblons pas. Je ressemble à mon père.

Il n’est même pas ton père, dit parfois ma mère en colère, nous n’avons pas besoin de lui!

Ma sœur n’est que la fille de mon père et bien qu’elle soit une étrangère, je l’aime comme une sœur. La mère de ma sœur est la belle-fille de mon père. Depuis qu’il l’a quittée, elle vit dans un hôpital, parce qu’elle est devenue folle. Ma sœur aussi est folle, dit ma mère, parce que mon père l’ai-me comme une femme. Je dois faire attention de ne pas devenir folle moi aussi, c’est pour cela que ma mère m’emmène partout avec elle.

De toute façon, mon père ne veut que ma sœur.

Ma sœur fait tout beaucoup mieux que moi. Bien qu’elle n’ait que quelques années de plus que moi, elle a déjà un genou broyé. Je ne ferai pas partie du cirque tant que je ne me serai pas vraiment blessée. Mais je n’y arrive pas, chaque fois ma mère m’en empêche, je ne peux même pas monter sur la corde sans qu’elle tombe presque dans les pommes.

je n’ai été quelqu’un qu’avant que je naisse.

A. V.

(Traduit de l’allemand par Patricia Zurcher)

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