Le Passe Muraille

Postérité de Charles-Albert

À propos du  Dossier H consacré à Cingria

par JLK

Un demi-siècle près la déposition, en août 1954, de son enveloppe terrestre passablement endommagée par une cirrhose carabinée, celui qu’on appelle familièrement Charles-Albert, selon l’usage que seuls Rousseau et Jean-Paul Richter lui disputent, avec une intonation légèrement différente à vrai dire, continue de vivre pour l’essentiel à la faveur d’un goût fervent et partagé par mille lecteurs se renouvelant à chaque génération et cela pour toujours voulons-nous croire.

 

« Quand Rossignol tombe, écrivait Cingria à propos de Pétrarque, un ver le perce et mange son coeur. Mais tout ce qu’il a chanté s’est duréfié en verbe de cristal dans les étoiles ; et c’est cela qui, quand un cri de la terre est trop déchirant, choit, en fine poussière, sur le visage épanoui de ceux qui aiment. »

Ce pollen lyrique ne cesse aussi bien d’être diffusé post mortem par les dix-neuf volumes reliés sous couverture safran de l’oeuvre à peu près complète (correspondance comprise), alors que se multiplient, après diverses anthologies, les rééditions séparées (notamment à l’enseigne de la collection Poche suisse ou de Fata Morgana) et que buissonnent gloses et lectures nouvelles. Au tournant du cinquantenaire, ce sont ainsi deux nouveaux titres qui viennent d’enrichir le catalogue du Poche suisse, avec Le Novellino, traduction par Cingria d’un illustre recueil de la littérature italienne, et tel choix de textes relevant du Bestiaire, que surplombe le massif de 500 pages d’un formidable Dossier H constituant à la fois une reprise de nombreux hommages antécédents, un recueil de textes et autres morceaux choisis et sept lettres inédites, de nombreux textes critiques nouveaux, un abécédaire cingriesque et une très utile et très épatante chronologie biographique établie par Jean-Christophe Curtet.

Ainsi qu’en préambule le relève Alain Corbellari, ordonnateur du présent dossier, celui-ci se pose à la fois « comme un portique » et une «pierre d’attente», alors qu’une équipe toute nouvelle  de chercheurs prépare l’établisse-ment d’une Edition critique des Œuvres Complètes que L’Age d’Homme devrait publier dans quelques années.

Côté «portique» se retrouvent donc beaucoup des textes consacrés à Charles-Albert par ses pairs plus ou moins fameux, qu’il s’agisse des témoignages « historiques » des Jouhandeau, Stravinsky, Ramuz, Paulhan, Claudel, Borgeaud ou Cocteau ; des hommages d’auteurs issus des générations suivantes, tels Jacques Réda ou Pierre Michon, Jean Starobinski ou Jacques Chessex, entre beaucoup d’autres; des «retentissements » signés Pierre-Olivier Walzer ou Etiemble, Jean-Marie Dunoyer ou Pierre Leyris, notamment.

Les esprits chagrins pourraient déplorer le fait que la plupart de ces textes ne soient que des reprises, et certains auteurs fronceront carrément le sourcil puisque l’opération s’est faite, à notre connaissance, en dehors de toute consultation, selon l’usage flibustier d’une maison faisant peu de cas du droit des auteurs. A l’inverse, le droit à la lecture « en un volume » est généreusement servi par cette compilation, enrichie d’autant côté «pierre d’attente». Sous les signatures de Maryke de Courten (La Constance d’une philosophie ou l’Unité du monde), Aurélia Maillard, Alain Corbellari lui-même ou Pierre-Marie Joris, nous découvrons ainsi, entremêlées d’inédits, les approches de la « toute nouvelle équipe » dont la ferveur savante sous-tend l’entreprise, sans autre prétention «scientifique» pour l’instant. Et tant mieux, n’est-ce pas, que l’âme de Rossignol puisse voleter encore çà et là tout librement…

JLK

Charles-Albert Cingria. Les Dossiers H. L’Age d’Homme, 2004, 490 pages.

(Le Passe-Muraille, No 63, Janvier 2005)

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