Le Passe Muraille

Pierre Veilletet ou le suc des choses et des mots

 

 

Familier des chemins de traverse, l’auteur bordelais est un sage souriant qui a l’art de tout rafraîchir. Trois petits livres savoureux en témoignent.

par Pascal Ferret

C’est une garantie de  bonheur que de tenir quelques livres de Pierre Veilletet à portée de main. Un bonheur tranquille, à savourer lentement comme un bon vin, mais non tant en connaisseur qu’en amateur, au sens de celui qui aime.

Charles-Albert Cingria disait qu’ «observer c’est aimer», et l’on retrouve chez Pierre Veilletet cette attention aux choses et aux êtres qu’une espèce d’élan charnel et spirituel rassemble et requalifie par les moyens du langage, sous cette lumière à la fois intense et bordée d’ombre qui est celle des maîtres hollandais.

De fait, la célébration du monde n’est pas ici griserie euphorique mais acte de fervente reconnaissance, dans les limites étroites et chères du temps humain.

Pierre Veilletet est de ceux qui nous captivent en parlant de tout et de rien, sans donner pour autant dans la platitude ou le bavardage. Le voici, par exemple, faire l’éloge du pied humain qui, comme chacun sait, «de tous les animaux de l’homme, est le plus fidèle», ou de la chaussure qui «doit être faite pour remplir sa fonction médiumnique: reconnaître la bonne direction, faire jaillir des pensées sous ses talons comme des étincelles».

Le détail et la totalité

Gascon de souche et citoyen reconnaissant à Bordeaux sa qualité d’ «endroit civilisé», Pierre Veilletet n’a rien d’un provincial terré. Sa profession de journaliste lui a fait parcourir le monde, mais ses lieux d’élection échappent à

l’anecdote ou aux conventions grégaires. Il préfère les piémonts aux sommets, la pénombre magique des académies de billard aux terrasses clinquantes, les chemins de terre espagnols (qui «sont les coutures à peine visible dont la robe de bure castillane est mille fois rapiécée») aux itinéraires fléchés («la peste soit des chemins écologiques et tabous qui desserviraient des réservoirs à chlorophylle!»), l’architecture épurée de l’abbaye de Fontenay à la grandeur pléthorique de Chartres, et les vieux maîtres hollandais l’aspirent dans leur intimité parce qu’ils «enseignent que tout se trame là où un détail peut dire la totalité du monde».

De la même façon, le style de cet essayiste-poète à la Vialatte le distingue du tout-venant du «médialangage». Voici par exemple ce qu’il écrit de la pluie: «La pluie, quand on marche sous elle, prémunit contre tout autre tracas. L’entêtant clapotis sur le caoutchouc, le chuintement de la semelle congédient les sécheresses de la vie, repoussent les chausse-trapes loin derrière la maille serrée des gouttes. Nous allons dans l’intimité des orages; l’éclair montre la voie. Une vapeur salutaire enveloppe notre tête. Nous faisons l’économie du savon et de la. sainteté.»

Avec la même netteté de frappe et la même imagination lyrique, le même sens de la formule, le même humour et la même bonté frottée de mélancolie, l’auteur de Mots et merveilles célèbre les lacs farouches (comme il y en a dans les westerns d’Anthony Mann) et les parfums qui «font de la musique», l’huître qui est à la fois «le cru absolu» et «le seul aliment qui nous reste des limbes», la musique de Schubert dont le lyrisme cohabite «avec un tragique proprement terrifiant» et fait écho à la confidence nocturne de Billie Holiday.

Un bijou romanesque

Entre un éloge de la morue séchée ou de la pipe et la Leçon de choses admirable que lui a inspiré Le vin, Pierre Veilletet s’est engagé à quelques reprises sur les sentiers de la narration, comme dans le pur bijou romanesque que constitue La pension des nonnes. En raccourci, disons que c’est l’histoire d’un Italien qui découvre que Dieu est allemand. Plus précisément, cette fuite simenonienne d’un gigolo génois découvrant, à Hambourg, un «lieu sûr» où il lui est enfin donné de cesser de courir après son ombre, permet à Veilletet d’incarner bonnement, avec une tendre malice, sa philosophie d’amical stoïcien.

Dans Mots et merveilles, Pierre Veilletet dit l’importance de la querencia, ce lieu privilégié «où nous savons trouver vie, lumière, inspiration», qui peut être tantôt sa maison ou telle chambre d’hôtel, tel recoin de café ou telle baignoire-sabot dans laquelle s’abandonner à la rêverie. Bien entendu, ce «lieu sûr» peut être une heure. Le terme querencia, dont use aussi la tauromachie, est ainsi «un mot de cinq heures du soir». Il localise, dans l’espace et le temps, le bonheur qu’inspire à l’auteur «l’heure bleue». «Jamais, écrit Pierre Veilletet, je ne me suis senti si présent au monde et, peut-être, si heureux de m’y trouver qu’à l’approche du soir.»

Pierre Veilletet, Mots et merveilles. Arléa poche, 151 pp. La pension des nonnes. Arléa poche, 95 pp. Le vin. Leçon de choses. Arléa poche, 190 pp.

 

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