Le Passe Muraille

Pasolini cet été-là…

À propos de La longue route de sable

Durant un été, de Vintimille à Trieste, le poète-écrivain- cinéaste a consigné ces notes cristallines et savoureuses.
Dans la profusion créatrice de Pier Paolo Pasolini, qui fut poète et peintre autant qu’essayiste et cinéaste, la sensation poétique pure constituait un foyer qui, par le verbe, trouve une forme particulièrement étincelante, concentrée et rayonnante.
Or c’est cela même qui épate et enchante dans cette suite de notations prises par le poète au fil d’une déambulation qui le conduit, du mois de juin au mois d’août 1959, à travers une Italie qui n’est plus tout à fait de la reconstruction et pas encore de l’embourgeoisement.
Déjà l’été appartient aux vacanciers, avec les pancartes des hôtels annonçant «dans toutes les langues — Zimmer, Zimmer et Zimmer», et tout aussitôt le poète relève, du côté de Spotorno, «le fleuve bariolé de la vie congestionnée par le désir (…) d’être ici, sur ces superbes plages, chacun au mieux de ses possibilités, à jouir de l’été».
Sa propre jouissance, Pasolini la détaille de façon plus originale et plus raffinée, avec de vifs élans sensuels et lyriques, des impulsions sauvages et bientôt sublimées. Ainsi de cette évocation d’une jeune baigneuse aperçue dans la lumière de l’orage, au milieu d’un fatras urbain, sur la côte ligure d’après Gênes, «une fille blonde, nue, sa chair, sa chair chaude parmi tout ce fer» transformée en apparition merveilleuse.
Tantôt le regard de Pasolini s’aiguise à l’apparition de teddy boys typiques de l’époque férue d’américanisme, ou voici croquée au passage la fille du directeur d’un grand journal «qui parle dans le vide, sur un haut tabouret, les jambes nues comme deux poignards».
Tantôt il se fait plus voluptueux comme à l’approche de Livourne à l’immense bord de mer «plein de garçons et de marins libres et heureux», Livourne étant la ville d’Italie où il aimerait le plus vivre après Rome et Ferrare, «une ville de gens durs, peu expansifs», une ville où se mêlent «une grande finesse d’esprit hébraïque, de bonnes manières toscanes, une insouciance à l’américaine» et, chez les jeunes, simplement «une grande envie de faire l’amour»…
La première virée de Pasolini le conduit jusqu’à Fregene où il croise le chemin de Fellini, puis il fait un tour avec Visconti dans Ischia, mais ces rencontres n’ont évidemment rien de mondain car c’est d’Italie et encore d’Italie qu’il s’agit; et voici Ravello surplombant le golfe d’Amalfi, puis voilà la Calabre «qui se fait toujours plus Calabre», et c’est encore plus au sud, au sud profond que va s’enfoncer le poète, au fin fond de la Sicile sentant déjà l’Afrique, avant de remonter le long des Pouilles aux mâles agités par l’«hélice du sexe», puis de remonter encore jusqu’à Trieste où, sur une «pauvre petite plage», il va voir «finir l’Italie et l’été…»
Pascal Ferret
Pier Paolo Pasolini. La longue route de sable. Traduit de l’italien par Anne Bourguignon. Arléa, coll, L’étrangère, 95pp.

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