Le Passe Muraille

Notre ambassade en Gironde

 

La chronique de Claude Frochaux

La suisse est une île et la Suisse romande est une île dans une île et la littérature romande une île dans une île dans une île.

L’insularité est contagieuse. Les îles se multiplient par cooptation. Il y a partout, dans le monde, des îlots d’amoureux de la littérature romande. Et ce ne sont jamais les robinsons qu’on imaginerait. Par exemple des montagnards égarés dans une plaine ou des descendants de fromagers fribourgeois. Non, ce sont un étudiant de Cambridge, une Irlandaise de Saint Brieuc – les exemples n’ont rien de gratuit – un professeur japonais, un autre et sa femme à Florence, des Québécois – ça c’est normal – ou des Canadiens anglophones – ça c’est suspect.

Des îlots, des refuges, des recoins de Suisse romande.

Le plus beau, le plus épanoui, le plus actif est à Bordeaux. A Bordeaux, rue Porte-Basse, on aime la littérature romande. On l’aime tellement que Sylviane Sambor et Claude Rouquet ont décidé de le faire savoir à toute la France du Sud-Ouest.

Tous les trois ans – on appelle ça une triennale – ils organisent une semaine suisse. Ils s’y préparent des mois à l’avance. Ils ont recours à tout ce qui peut les aider ou les servir. Ils frappent à toutes les portes, ils bousculent les administrations, les compagnies d’aviation, les offices de tourisme. Afin d’assouvir leur passion: la littérature romande.

On en reste confondu. D’admiration et de reconnaissance. On débarque à Bordeaux et on se retrouve entre soi. Une Suisse romande en réduction qui n’aurait que des poètes, des romanciers, des professeurs de littérature, des critiques littéraires et des éditeurs.

Tout le monde est sollicité. Les libraires, les bibliothécaires, les journalistes. On croyait que tel poète ne débordait jamais de ses limites cantonales: le voilà en devanture à La Machine à Lire ou chez Mollat, l’une des plus grandes librairies de France.

Etonné, on se retrouve sur une scène, avec un spot qui éclaire votre visage émerveillé. On regarde devant soi et on se demande ce que vient faire cette dame qui a pris place. Cet étudiant qui a tiré un calepin de sa poche. Qui est cet homme à l’air sérieux, aux tempes argentées ? Un commerçant peut-être. Mais pourquoi est-il là ? Qu’est-ce qui l’a poussé à venir écouter Marie-Claire Dewarrat ou Christophe Calame qui parle de Cingria ?
Comment ont-ils fait, Sylviane et Claude, pour faire croire à ces cent personnes qu’il fallait lire les écrivains de Suisse romande. Les écouter, les comprendre, les aimer ?

Car, à Bordeaux, une évidence s’impose: nous sommes intéressants. Nous intéressons les Français – disons, des Français. Les Français nous aiment, sont curieux de nous, veulent savoir à quoi nous pensons, pourquoi nous écrivons, qui nous sommes.

Et ça marche. On nous croit, on nous applaudit. Il y a un réel intérêt. On achète nos livres à la sortie. On dédicace. Les libraires connaissent nos noms. Les photographes de presse pointent leurs appareils sur nos visages concentrés, plissés par la réflexion.
Nous existons.

Et quand nous rentrons en Suisse, encore un peu étourdis – le sauterne et les médocs n’y sont pas complètement étrangers – nous avons envie de flâner encore quelques minutes dans les rues de Bordeaux. De revoir nos noms en vitrine. Et tous ces visages qui nous souriaient.
Et de dire merci à Sylviane et à Claude.

C. F.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *