Le Passe Muraille

Morning routine

Poèmes inédits de Quentin Mouron

 

 

Morning Routine C

Novembre de ruines – monolithe tendre

Novembre de rêves et de parfums

Novembre aux stries austères

Novembre stérile sans hasard ni destin

Novembre aux lettres d’or sur ton grand cœur de pierre

Novembre quand il est midi et que tu dors encore

Novembre aux étreintes toujours un peu trop claires

Novembre délicieusement anéanti

Novembre fier

Novembre palpitant de ses débris solaires

Et toi toute nue dans ton lit.

(Giez, novembre 2023)

 

Morning Routine CI

Décembre passe Sons nés d’aucune science

Dans le matin aux chants de fêlures lasses

Que reste-t-il de nos silences ? Rien !

Sinon une promesse tue dans les rues basses.

(Giez, décembre 2023)

 

Morning Routine CII

Assis

Dès le matin

À la terrasse du Café de la Main

L’ivrogne boit sa crème de cassis

C’est un pseudo-tragédien : il annonce la fatalité avec des cris ; sa bouche est gonflée d’injures ; il a de la cendre aux commissures ; les habitués font chœur ; ils l’implorent ; ils le redoutent ; ils en rient ; et puis, vers midi, l’ivrogne se dégonfle en farce ; il part d’un grand rire et chasse les dieux de l’Olympe et rend à l’homme le hasard et la mort ; la pluie s’abat sur les épaules des habitués ; ils baissent le regard.

L’ivrogne boit sa crème de cassis

Et reste placidement assis

Jusqu’au soir.

(Giez, décembre 2023)

 

Morning Routine CIV

Sous le ciel d’argent massif

Après les étreintes

Et les poncifs

(Bonne année, je changerai,

Blablabla, je promets)

Sitôt que j’ouvre mes volets

Ton rire tinte

Tel que je l’ai laissé

En décembre

Dans notre chambre

Mes invités ne sont pas levés

Ils ont bu toute la nuit

Les restes du chapon figent

Ton rire vole à tire d’argent

Et l’amour est ce que l’on s’inflige

Quand on a trop de temps.

(Giez, janvier 2024)

 

Morning Routine CV

Dans le crachin

Sans mystère

Toute la beauté

S’est retirée

Ce matin

Tu croises

Des silhouettes

Pantoises

Sans chair

Ni visage

À peine des jambes

Et ces mains…

Ces mains sans drames…

Ces mains si obstinément vides…

Ces mains d’hommes ces mains de dames…

Détachées de l’ombre

Et qui n’inscrivent rien

Sur la surface du monde

Tes yeux ce matin

Se sont ouverts pour rien.

(Paris, janvier 2024)

 

Morning Routine CVI

Tout ce qui trouble parle de toi

Le vent qui traverse mon manteau trop fin

Sur le boulevard troué de flaques où tout le ciel

Se mire La plaie de ce clochard place de la Chapelle

Qui murmure qu’il a faim (tout le monde a faim et suppure ce matin)

Les épluchures qui jonchent le sol Les messages échangés l’autre nuit

Les blessures géométriques de la musique pour cordes de Webern

Les souvenirs accrochés aux réverbères qui penchent (les réverbères

Penchent et les souvenirs aussi)

Le parfum capiteux des touristes anglaises qui se poussent en gloussant

L’ombre de tes jambes qui traverse les places et noircit les monuments

Un texte de Brodsky dont je ne me souviens qu’imparfaitement

Nos caresses du soir au matin

Le rire de l’agent de sécurité d’un grand magasin

Et les vers de ce poème qui s’enfoncent dans ma gorge.

(Paris, janvier 2024)

Morning Routine CVII

Moins trois degrés

Ton verre d’eau est tombé

Sur un livre de poèmes japonais

Que tu lisais

Quand je t’ai rencontrée

Tu t’étires dans la chambre où veillent des cauchemars

Où fument d’âcres mythologies

(Et les volutes blanches

S’enroulent autour de tes chevilles

De tes poignets et de tes hanches)

Une lampe LED brille

Un drap recouvre incomplètement ton corps

Plus tu t’éveilles plus tu es nue

(Tu ne t’habilles pas encore)

Qu’as-tu fait hier soir ?

Tu hésites

Tu ne te rappelles plus

Les cauchemars…

Les cauchemars te regardaient dormir – t’en es-tu aperçu ?

(Giez, janvier 2024)

Peintures: Lucian Freud.

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