Le Passe Muraille

Lumière sur le dragon

(Saint Georges et le Dragon, Carlo Crivelli, 1490)

Rorik Dupuis Valder, 26/05/2020

Pour le public non averti, il est des domaines occultes et sacrificiels que le cerveau humain préférera machinalement, moins par inaptitude conceptuelle que par mesure de protection individuelle, ne pas traiter activement de crainte d’être dépassé : ceux-ci devant engager, par la réalité de leur violence, le courage le plus intime et l’ambition la plus nécessairement périlleuse. La Science étant notre seul auxiliaire viable dans cette entreprise de dissociation et de réparation.

L’on voudrait nous faire admettre que la peur vainc le libre-arbitre des hommes : peur de la maladie, de la pénurie, du désœuvrement, de la famine ou de la captivité. En fait, elle se démonte, simplement, minutieusement ou plus sauvagement, d’abord par la recherche et la réflexion, puis par l’organisation et la fédération ; la radicalité de l’exécution n’étant que le luxe spectaculaire du justicier. Toutes ces peurs artificiellement entretenues ne faisant à la surface que se substituer à la seule valable, fondamentale : celle de l’incroyable vérité.

Avant de décapiter à tout-va, les fous et les sales gueules, l’élégance de la solidarité que nous tirons de cette raison dont la nature nous a dangereusement pourvu, inviterait le bourreau à mener son œuvre de providence en usant de la plus durable, la plus compétente des juridictions connues ici-bas : la pédagogie. Celle qui fera comprendre, à tous, qui et pourquoi l’on décapite.

COVID-19 ou pas, le fait semble désormais largement établi : l’humanité est malade. Préparons, le plus équitablement, le plus intelligemment qui soit, son sursaut. L’intérêt, dans toute sa complexité sociale et personnelle, n’a jamais lié durablement les êtres ; la simple confiance en revanche, oui. Là est bien toute la différence constitutive entre la petite frappe pressée, sans perspective ni code d’honneur, et le mafioso authentique, qui sait précisément où et quand faire feu.

Et c’est peut-être cela que nous enseigne, au fond, l’allégorie du jeune et valeureux Saint-Georges à cheval, sa lance brisée à la main : les idées, étayées de renseignements, suffisent à terrasser le dragon, pourvu que l’on ait rigoureusement étudié la bête auparavant. 

Une société à peu près saine et équilibrée contiendrait sans doute autant d’éthologues que de Saint-Georges — ou pour le dire de façon plus triviale, autant de cerveaux que d’exécutants. Seulement, le maillon-clé qui semble faire injustement défaut la majeure partie du temps, souvent méprisé et pourtant capital dans la chaîne d’opération, est bien celui de la Coordination. En termes psychologiques : celui de la confiance partagée. 

Il serait puéril, et parfaitement hypocrite, d’invoquer quelque humilité commune et salvatrice vers la justice sociale ou un idéal d’émancipation, car c’est bien de l’orgueil individuel le plus étroit que naissent les grandes œuvres de l’humanité. Quand l’être éloquent gagne cent adeptes, l’être exigeant en entraîne cent mille ; la nuance identitaire tenant, fondamentalement, au degré acquis d’intolérance à cette paresse naturelle contre laquelle chacun d’entre nous est tenu de lutter intimement et scrupuleusement. Ainsi se distinguent les hommes : par leur violence contenue et leur potentiel thérapeutique.

Nous ne connaissions pas le dragon. Nous le craignions comme un monstre biblique à majuscule, comme une menace permanente, croissante et inarrêtable. Il nous impressionnait, de son envergure, de sa cruauté, sa folie ou sa maladie. Mais nous étions du même monde, de la même race, nous partagions la même enveloppe corporelle, la même raison, à l’origine. En réalité, il était des nôtres.

Plus incroyable encore, il nous gouvernait : prenant l’apparence d’hommes responsables, d’hommes d’État, de loi et d’affaires, de l’Administration, de la Médecine et de la Culture, verrouillant ainsi méthodiquement toutes les issues du scandale démocratique de sa nature profonde. Pères, mères, frères, éducateurs et religieux n’étaient pas non plus épargnés par sa complicité. Il était bel et bien humain, ce monstre. Et c’est cela qui nous échappait si douloureusement, en fait : son humanité. 

Il se déployait, s’organisait, contrôlait, possédait, réprimait. Nous ne pouvions qu’assister. Assister ses jeunes et nombreuses victimes rescapées, celles-ci n’ayant d’autre choix pratique que de se laisser vivre, plus ou moins patiemment. Des enfants, qui devaient mourir, du souvenir comme de l’impossible reconnaissance de leur calvaire ; car le monstre était, aussi et avant tout, l’Institution.

Nous refusions de nous y résoudre. Puisque l’enfant est celui de tous. Il nous revient bien, à nous tous qui nous trouvons sur son chemin, de contribuer dans son intouchable innocence à la perspective de sa culture, plus largement de son accomplissement. C’est là notre seule responsabilité : la gratuité de son éducation. Et l’assurance de sa protection. Au fond, c’est de façon bestiale, instinctive, que nous agissons le plus sainement. Je veux dire, d’un instinct non altéré.

L’homme se définissant tel un animal naturellement grégaire d’un côté et pathologiquement dominateur de l’autre, il est des communautés du patriciat moderne, parfois multiséculaires, qui pour assurer leur emprise de moins en moins secrète sur la plèbe éternelle, s’entretiennent par superstition, tradition et cooptation, au sadisme et au machiavélisme les plus inhumains ; celles-ci gouvernant dans l’idée traîtresse que la perversité la plus étudiée doive leur assurer l’absolu décisionnel. C’est, en gros, le drame populaire de nos sociétés consuméristes, du spectacle et de l’immédiateté : plutôt que d’oser soigner ou contrarier, il convient de satisfaire et légitimer les vices de l’individu au détriment de toute ambition collective et historique.

Oui, l’enfant est sans nul doute le plus coté, le plus précieux des produits. Ne vous en émouvez pas, comprenez-le. De la même façon qu’il existe un marché de l’or noir, du diamant ou des psychotropes, il vit dans le monde, sous vos yeux non initiés, un marché souterrain de la chair fraîche. Vous l’ignoriez peut-être, votre progéniture est observée, dérobée, louée, sacrifiée, l’objet de convoitises et de manies spéculatives des plus inimaginables. L’amour ici-bas ne résolvant plus rien : invention des arts et de la philosophie, il ne serait au mieux que la bonne conscience des belles personnes.

Mon ami. À quel point était-il désirable, de son haleine cadavérique, de son regard artificiel d’enfant, épouvantablement vitreux et désincarné ? Épanoui dans la douleur, dans l’habitude de la drogue et la terreur admise du viol ? Ne s’était-il pas, vaillamment, donné une première mort avant même que quiconque n’abuse de lui, ne s’y introduise de cet appétit vain et misérable des traîtres de haut rang ?

Nous, citoyens et agents de l’Anonymat, sommes ses frères d’armes, ses camarades de jeu devenus grands, et nous aimerions simplement vous poser quelques questions si vous nous y autorisez. Puisque pour vous tout semble avoir un prix, voyez comme nous nous sommes appropriés la liberté de vous pister méticuleusement jusqu’au dernier des transfuges pour vous offrir charitablement votre mort.

Voyez donc, apprentis-sorciers du COVID-19, comme les représailles sont volatiles. Comme elles naissent et se dessinent, des airs, des terres et des cerveaux. Notre précision de frappe ne dépendant que de la patience dont vous daignerez nous laisser disposer. La main tendue, si elle ne contient les menottes ou la corde civile dit-on, c’est des pinces castratrices de fortune dont elle se servira au mieux malencontreusement.

Il s’avère toujours irresponsable, à long terme, de sous-estimer la créativité de plus vulnérable que soi, car s’il y a bien une chose qui échappe définitivement aux monstres, c’est le pouvoir de résilience dont chacun d’entre nous est doté. Parce qu’une armée de vulnérables n’est toujours qu’une armée, au sein de laquelle il ne s’agit plus de sauver sa peau mais celle de son voisin mutilé en une explosion de détresse unanime. 

Nous sommes le cœur critique et silencieux du monde occupé, purgé de ses mascottes et judas, alors munis de nos plans réticulaires ou de vos simples carnets d’adresses nous ne ferons que frapper poliment aux portes, entraînant peut-être avec nous les peuples révoltés, nous érigeant en un membre monstrueux et incontrôlable pour jouir à notre tour de votre sang. 

Puisque, formellement et sans relâche, la justice des responsables entend couvrir la bête infanticidaire qu’il lui revient par essence de neutraliser, c’est un Saint-Georges citoyen ou paramilitaire que nous aurons amoureusement formé, conduit par la plus irresponsable, la plus primitive des juridictions.

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