Le Passe Muraille

Les traits du Sagittaire

 

Reconnaissance au très catholique et très diabolique dandy Barbey d’Aurevilly,

par Gérard Joulié

Un siècle après sa mort, Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889) continue de partager entre un oui et un non sans nuances le public le plus averti. De la violence de ces mouvements divers, le Sagittaire, comme il se surnommait, n’aurait d’ailleurs pas tiré peu de fierté.

Barbey d’Aurevilly est incontestablement l’une des figures les plus originales de la littérature du XIXe siècle. Il fait partie de ce petit nombre de classiques singuliers et souterrains qui sont, comme l’a dit Gourmont, la véritable vie de la littérature. «On les retient à l’écart de la famille, on craint de les apercevoir, mais on les regarde et on est content de les avoir vus.» Le dernier en date des barbeyromanes est Arnould de Liedekerke qui, dans son superbe livre, Talon rouge. Barbey d’Aurevilly: le dandy absolu, nous narre la vie de ce merveilleux grand homme que Lamartine surnomma d’un mot brillant mais sans profondeur, «le duc de Guise de la littérature».

Il avait certes toujours vécu hors de son temps, et dans une lune chevaleresque, ayant sous les yeux les modèles de Byron et de quelques Anglais célèbres comme Lauzun et Brummel. Car il avait désiré prendre rang parmi les dandies. Mais si dandy égale animal de sang froid, Barbey fut tout le contraire, car il était occupé à bien autre chose qu’à vivre et à mourir devant son miroir, selon la très belle définition que Baudelaire donne du dandy. Sa toilette faite, il n’y pensait plus et partait guerroyer.

«Bardé d’or vieilli», disaient de lui certains. Tel il était en effet, gardé des mauvais plaisants par son aspect de gentilhomme, plein de dégoût pour un temps où l’on n’accordait plus à l’amitié ni à l’amour le respect qu’ils méritaient, et où l’argent, qu’il méprisait, imposait sa bruyante suprématie.

«S’agissant du dandysme, écrit avec pertinence Arnould de Liedekerke, on a trop souvent privilégié sa matérialité, ses manifestations superficielles, cannes, foulards, cravates, sa saga boulevardière, au détriment de sa révolte, cette incarnation fiévreuse de l’incarnation du beau dans la vie, qui jette si violemment, si radicalement Barbey d’Aurevilly, Baudelaire et d’autres avec eux comme Custine, Villiers ou Bloy contre les hauts murs du monde moderne».

Tel quel, il a écrit une langue admirable, pleine de surprises, et qui n’appartient qu’à lui. Il est après Chateaubriand un écrivain de splendeur analogue et un analyste des passions humaines comme il y en a peu. Il poussait les passions vers une pureté paroxystique, quasi chimérique, dans le noir ou le blanc.

Ses livres, dont quatre au moins sont des chefs-d’oeuvre: L’ensorcelée, Une vieille maîtresse, Le chevalier des Touches et Les diaboliques, furent violemment attaqués par les bigots, «espèce assoupie dont les yeux sont fermés au miracle de l’extraordinaire», dira Baudelaire, son défenseur, dans L’âme romantique. Devenu rédacteur en chef du Monde catholique, Barbey est en butte aux bien-pensants du noble faubourg qui voient en lui un directeur de conscience accoudé au balcon de Tortoni, un catholique-dandy «vous invitant à communier comme d’autres à dîner».

Barbey d’Aurevilly était ce seigneur qui, d’un geste superbe de sa cravache armoriée, écartait de lui les bourgeois parce qu’ils manquent de cette distinction dont il ne saurait se passer, et qui avait cette extraordinaire pente d’esprit à juger les hommes avec une anglaise insolence et les femmes avec une chevalerie tendre et je ne sais quel agenouille-ment. Un jour Baudelaire, qu’il avait traité de criminel et de grand poète, vint le trouver et lui dit: «Monsieur, vous avez attaqué mon caractère, si je vous demandais raison, je vous mettrais dans une situation délicate, car, étant catholique, vous ne pouvez vous battre» — «Monsieur, répondit Barbey, j’ai toujours mis mes passions au-dessus de mes convictions, je suis à vos ordres».

Il faut lui rendre cette justice qu’il n’hésita jamais à mettre ses caprices au-dessus de la raison. Les uns le tiennent pour un écrivain chrétien et en font une espèce de de Maistre romantique, d’autres dénoncent son immoralité et sa diabolique audace. Il y a de tout cela en lui. «Il croit croire», avait-on dit de Chateaubriand. Barbey était lui au con-traire tellement assuré de sa foi qu’il prenait toute sorte de libertés avec elle. Le péché et le blasphème n’ont-ils pas toujours été des condiments de la foi, du moins dans les hautes époques ?

«En France, écrivait-il un jour dans son Brummel, peut-être avec quelque rancœur, l’originalité n’a pas de patrie; on lui interdit le feu et l’eau; on la hait comme une distinction nobiliaire; elle soulève les gens médiocres, toujours prêts, contre ceux qui sont autrement qu’eux, à une de ces morsures de gencives qui ne déchirent pas, mais qui salis-sent. Etre comme tout le monde est devenu pour les hommes un principe équivalent à celui qu’on serine aux jeunes filles: «sois considérée, il le faut», du Mariage de Figaro.»

Noble jusqu’à la pointe du coeur, jusqu’au bec d’une plume trempée dans les encres les plus vives, Barbey était a raconteur, comme disent les Anglais. «On le laisse parler, il se dessine», à dit Sainte-Beuve, et Baudelaire note justement que son style est un style parlé, comme en témoigne magnifiquement sa correspondance. Son oeuvre critique, enfin, est avec celle de Sainte-Beuve la plus riche et la plus exhaustive du XIXe siècle. «L’impertinence, la raillerie sont apanages dandys», écrit Liedekerke, «il y excelle. Il s’en prend à Buloz, Hugo, Sainte-Beuve, aux Emile — Augier et Zola —, à Thiers et Guizot, à Lamennais et Montalembert, à Michelet et Renan, à l’Académie française, aux bas-bleus, aux esprits forts, aux athées, aux dévots».

Il réunissait, comme causeur et homme d’esprit, les qualités de Voltaire, de Galieni et du prince de Ligne. On comprend qu’il aimait cette opinion du Régent: «La seule chose qui vaille la peine de vivre, la seule quand tout le reste est flétri, c’est la conversation d’un homme d’esprit qui sait causer».

G. J.

Arnould de Liedekerke, Talon rouge. Barbey d’Aurevilly: le dandy absolu.

La Table Ronde, 1993. Barbey d’Aurevilly, Memoranda. Journal 1836-1864. La Table Ronde, 1993.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *