Le Passe Muraille

Les oscillations du présent

 

À propos de Guy de Pourtalès journaliste,

par Roger-Louis Junod

Pour le compte de l’association Guy de Pourtalès, Doris Jakubec et Anne-Lise Delacrétaz ont retrouvé une centaine d’articles de l’auteur de La Pêche miraculeuse publiés de 1933 à 1935 dans des journaux et des revues de France et de Suisse tels Le Journal de Genève, Le Figaro, L’Echo de Paris, La Nouvelle Revue Française et Le Mercure de France mais pour la plupart dans Marianne, fondé par les frères Gallimard en automne 1932. Réticent à la perspective du journalisme qu’il considère comme un esclavage, Pourtalès fait preuve d’un talent éblouissant, côtoyant dans les pages de Marianne Paul Morand, Roger Martin du Gard, Jean Giraudoux et André Malraux.

Les éditrices intitulent ce recueil, deuxième des Cahiers Guy de Pourtalès, Vers l’affrontement ou Marianne, Wotan et la sdn, autrement dit la France, l’Allemagne où naît le nazisme, et l’espoir en une Europe unie et pacifique. «Qu’il s’alarme de la montée du nazisme, qu’il fustige les désordres de la Troisième République ou qu’il doute du pouvoir pacificateur de la Société des Nations, Guy de Pourtalès se révèle un témoin de son époque, attentif aux oscillations du présent, inquiet de l’avenir, nostalgique plus encore».

En 1934, le scandale politico-financier de l’affaire Stavisky compromet le régime parlementaire d’une France affaiblie par la crise économique et, de Montana où il réside alors, Pourtalès fustige une «République des coquins et des copains» en ces termes: «Si le régime est attaqué, la République menacée, si beaucoup d’hommes jeunes et sains se groupent aujourd’hui pour réformer, peut-être même pour déboulonner Marianne, c’est qu’ils la voient incapable de rendre la justice, de punir les coupables. Le vrai scandale du temps présent, c’est la complaisance, les bouche-l’œil, les tapes sur le ventre, les «mon vieux on va t’arranger ça», la malfaisante et générale bonasserie des hommes en place, l’affreux laisser-aller qu’est devenu le travail professionnel depuis qu’il n’y a plus ni hiérarchies ni sanctions». C’est déjà la «douce France» de 1996 !

Voilà pour les malheurs de Marianne. Passons chez Wotan. Bayreuth nous y introduit. Le savant amateur de musique qu’est Pourtalès admire le génie de Wagner, dignement célébré en 1933 par les fondateurs d’un Musée du Souvenir, mais dénonce une Allemagne nouvelle qui «répudie Goethe et Nietzsche, ces deux maîtres de la liberté spirituelle, pour n’écouter chez Wagner que l’ardent prophète d’un futur qu’elle croit incarner», méconnaissant ainsi la pensée la plus haute, la plus «artiste» de Wagner dans l’œuvre de qui elle ne voit plus qu’une «régénération par le peuple, dont le Chancelier-du-Peuple, Adolf Hitler, est l’immaculé Parsifal». Il se résume ainsi: «Autrefois religion musicale» le wagnérisme est devenu à présent religion d’Etat». D’autres articles des années trente analysent la théorie des races, rapprochant Hitler de Gobineau, ou relatent les propos de familiers du Führer comme Goebbels rencontré en 1934.

Et la sdn ? Pourtalès la qualifie de «suprême idée du libéralisme, tel qu’il nous vient à travers Rousseau et Benjamin Constant (tous deux Suisses), par Gladstone et Wilson (tous deux Anglo-Saxons) née de leur idéologies combinées en cette sorte de mystique de la paix qui fut, pendant une dizaine d’années, la fille naturelle de la Grande Guerre». Ceci encore: «Lorsque la sdn eut solennellement proclamé son impuissance, des ouvriers pressés déboulonnèrent l’idole libérale à peine ébauchée et l’on se mit alors à philosopher au marteau». Souvent, Pourtalès déplore que la mystique de la paix n’ait produit que des livres et des discours.

L’année 1935 voit le Front Populaire s’annoncer avec le regroupement des partis de gauche, pc, sfio et Radicaux s’opposant à l’Action française et aux Croix de feu. Cela réjouit-il Guy de Pourtalès ? Pas trop. Le voici plus pessimiste que jamais, déplorant l’absence de volonté ferme et de vues lointaines dans le peuple comme chez les politiques: «Rien que des bons mots, des ambitions, le désir de régner, la haineuse envie». Plus de communion dans des idées générales fortes, ni de grandeur morale. Plus de foi d’aucune sorte, ni d’admiration, ni d’amour. Ces vieux mots naïfs font sourire. Pourtant, «tout pays vivant a besoin, pour créer l’avenir, de croire en son passé et les forces qui soulèvent le monde nouveau sont les mêmes qui firent l’ancien». «On a tout fait depuis cinquante ans pour détruire la foi et l’amour. On a détruit du même coup l’espérance». Conclusion, fin 1935: «Pour rendre à l’existence son prix, il faut replacer une âme dans le corps, ramener le dieu dis-paru dans son temple vide».
Pourtalès mourra six ans plus tard.

R.-L. J.

Guy de Pourtalès, Vers l’affrontement ou Marianne, Wotan et la sdn, Champion Editeur, Paris, 1996.

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