Le Passe Muraille

Les oiseaux tombés du ciel

À propos d’Hôtel des adieux, de Brad Kessler,

par Claire Julier

Toute fin s’ouvre sur un commencement. Vue de loin, l’explosion apparaît comme un feu d’artifice à l’envers, une gerbe inhabituelle qui s’enfonce dans la mer et puis la mer est instantanément renvoyée au noir de la nuit. Un épouvantable craquement a déchiré les tympans et le roulement des vagues reprend, comme d’habitude. Ce n’est pas parce que le ciel est rendu à lui-même – aux étoiles, à la lune, au passage constant des oiseaux migrateurs –, et l’océan à ses marées, que le temps reprend son rythme.

Le crash – à une époque où l’on aimerait croire au risque zéro – frappe, atterre, sans égards, sans limites. Nul ne peut imaginer depuis la terre l’immensité de l’océan, son froid, atroce, sa profondeur, son indifférence. Le déploiement médiatique fâche, émeut, révolte, provoque l’envie de hurler, donne une importance irréelle, surréelle à l’événement. «Pour quelle raison une mort collective et violente faisait-elle sortir tout le monde de son trou? Des centaines de gens mouraient toutes les heures, tous les jours, à l’hôpital, sur les autoroutes, et personne ne venait témoigner ni pleurer.»

Trachis Island, petite île pour vacanciers au large de la Nouvelle-Ecosse, devient centre de ralliement non seulement pour les individus fracassés, à la recherche de corps chéris, mais aussi pour les journalistes, les enquêteurs, les assureurs, les bénévoles, les humanitaires, les curieux, toute une cohorte liée au chaos. Les proches, les survivants – comme on les appelle – se groupent dans le microcosme que forme l’île, se regroupent dans le petit hôtel. Etrangers aux regards portés sur eux, ils cherchent les corps, des pistes, des preuves. Comment vivre sans être sûrs? Comment continuer sans avoir d’objets fétiches de ceux qui ont disparu avec pour seule sépulture l’immensité de l’océan?

«Sa mère disait que l’âme était un oiseau qui vivait dans la nuque des hommes. La nuit, il s’envolait par la bouche, et revenait au réveil; quand on mourait, il s’envolait pour toujours. Le monde qui s’étendait au-delà des vitres, cette nuit, ressemblait à une parfaite abstraction, à un rêve. Ici, au salon, les vivants réchauffaient leurs os près de la flamme.»

Les morts sont à l’extérieur. Eux, ils essaient de se réconforter comme ils peuvent – le corps, le cœur, l’esprit. Les mots, les silences, les gestes, les notes de musique prennent un sens autre, un poids différent. Ils racontent d’autres histoires comme pour survivre, se tissent pour faire une étoffe qui éloignerait des larmes, une pierre patiente à qui l’on raconte et raconte en-core pour effacer à chaque fois un peu de malheur.

À petites touches délicates, Brad Kessler entraîne ces femmes, ces hommes dévastés par l’impossible deuil vers des instants où ils pourraient contempler le vol des alcyons, ces oiseaux dont la rencontre annonce calme et paix; il les emmène vers un monde où il y a, parfois, possibilité de fraternité.

C.J.

Brad Kessler, Hôtel des adieux, (Birds in fall), traduit de l’anglais par Odile Demange. Editions NIL, 2009, 316p.

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