Les Classiques du Grand Siècle
Suite de la lecture d’En avant les classiques ! Dix phares du XVIIe siècle , selon Patrick Métrope.
par Francis Vladimir
Nous revoilà en compagnie de Patrick Métrope au tropisme aventureux et sourcilleux pour tout ce qui touche à la littérature. Voilà donc ce tome 2 qui m’avait échappé tout impatient que j’étais de rendre compte des tomes 1 et 3 objets d’une recension au Passe Muraille en juin et décembre 2023. Le bonhomme ne s’en laisse pas compter aussi aisément qu’il y paraît et à le voir, sous son apparence fluette, on est grandement surpris, pour ne pas dire emballé, de la fougue qui traverse ses incursions littéraires à la Médiathèque de Boulogne-Billancourt où il officie. Il y donne-là, parlotte après parlotte, des apartés réservés aux grands auteurs du répertoire et le public qui l’écoute opine du chef dans un mélange inestimable de joie intérieure et de goûterie des textes dont certains furent en leur temps des pièces montées de grands chefs profanes en mise mots et mise en bouche. Mais Patrick Métrope est un chevalier venu de nulle part ailleurs, au panache haut en couleur qu’il porte loin dans sa défense de l’infini. Celui-ci, on le comprendra aisément étant de nous faire redécouvrir, en dépit des querelles, les trésors des anciens et des modernes. Ce qui est plaisant et percutant dans la manière d’exposer les tenants et aboutissants que Patrick Métrope se plaît à dérouler c’est la simplicité qu’il utilise sans vergogne, soit une pédagogie de bon aloi, une évidence jamais surlignée mais toujours évidente, le fait qu’on redécouvre ce qu’on se devait d’avoir appris et n’avoir jamais oublié, ce qui redonne finalement de l’allant au lecteur de ses livres et le déculpabilise de si mal connaître ses classiques. Ce qui suit s’attache aux 5 premiers phares illustres du XVIIème qu’on repèrera aisément dans sa phrase d’ouverture toute en saveur classique : Une Corneilleperchée sur la Racine de la Bruyère Boileau de la Fontaine Molière.
1/ Pierre Corneille (1606 – 1684) – Vous me connaissez mal ; la même ardeur me brûle, et le désir s’accroît quand l’effet se recule (Polyeucte/1641) – Avec lui tout fait théâtre, et comédie et tragédie. Auteur de l’illusion comique, Il donne à penser le théâtre dans ses raisons d’être avec son lot d’émotions et d’états d’âmes. Les choses sont clairement dites, le théâtre tient le premier rang. « Le théâtre n’est pas un art comme les autres, il est l’art de l’illusion. Et, très généralement, si cette illusion est féérique, elle se doit avant toute chose d’être comique… Dans la vie chacun joue un rôle à sa manière. Il y a les privilégiés, ceux qui réussissent et il y a les autres, ceux qui n’ont pas de succès, les figurants de la vie. » Patrick Métrope situe cette œuvre dans la période baroque (1570-1670) c’est pour mieux pour mieux positionner la gloire antérieure du Cid (1637) qui installait le théâtre classique et sa règle des trois unités, celle de l’action avec l’intrigue, celle du lieu unique et celle du temps sans ellipse. Le quatuor Rodrigue, Chimène et leurs pères respectifs, Don Diègue et Don Gomès, s’il fait date dans l’histoire du théâtre, aura fait couler ses flots de paroles et d’encre, pour soutenir par admiration ou torpiller, par envie, en une cabale montée sous couvert de morale et de bienséance. La toute neuve Académie Française, fraîchement installée, n’en demandait pas tant… On ne saurait quitter Corneille sans évoquer le fameux choix Cornélien, d’une actualité toute cruelle, qui est l’affaire et de Chimène et de Rodrigue, cette impossibilité qui leur est faite d’accéder au bonheur, promis au premier acte, pour finalement se fracasser face à une providence tragique qui, à jamais, les sépare. (Béatrix Beck dans son ultime roman, Plus loin mais où, prêtait à son personnage central Yann Rosengold un avis provocateur appel… une tragédie d’une immoralité consternante le Cid. Tuer ou faire tuer par son propre fils…). Mais Corneille était un homme de cœur élégant et un homme de foi et de vertus ambigus et les stances de 1658 adressées à Marquise, autrement nommée Mademoiselle Du Parc, comédienne de son état, avec leur ton un rien nostalgique et un brin égrillard sont sorties des mêmes mains qui versifièrent l’imitation de Jésus-Christ qui valut à Pierre Corneille la reconnaissance sans failles des docteurs en théologie de Paris et de Rouen. « L’église s’est donc honorée de posséder Corneille en ses rangs et elle aura refusé de faire de telles obsèques au libertin Molière pour soupçon d’impénitence. »
2/ Molière (1622 -1673) avait suivi les cours du philosophe-prêtre Gassendi dont la pensée matérialiste et épicurienne a exercé une grande influence sur son œuvre. Il s’en fait le porte-parole. Il la propage à sa manière ce qui a pour conséquence morale de justifier indirectement le sensualisme et même le libertinage… Cependant il est capable de susciter une interrogation critique à l’égard des libertins eux-mêmes en dévoilant leur jeu. Homme de paradoxe, Jean-Baptiste Poquelin lègue à la postérité l’immortalité de son théâtre et la langue dite de Molière. C’est au travers de trois pièces que Patrick Métrope nous renvoie le théâtre de Molière en son miroir. « Notre parti est de soutenir qu’à plus d’un titre le théâtre de Molière fait penser ». Georges Dandin (1668), paysan fortuné, par son mariage avec Angélique de Sottenville, prétend s’extraire de sa condition d’origine. Il en récoltera l’adultère de son épouse, le mépris des autres, et ce constat amer « Georges Dandin, Georges dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde. Ma maison m’est effroyable maintenant et je n’y rentre point sans y trouver quelque chagrin ». Ici pointe une réflexion sur la condition des femmes et la rébellion d’une épouse contre les us et coutumes de l’époque qui se moquait bien des penchants et choix amoureux de la gent féminine. Bien que profondément malheureux et amoureux, Georges Dandin est le dindon de la farce d’un mariage arrangé. Ainsi l’éducation des filles est un thème majeur chez Molière qu’il développe avec l’école des femmes -1662-, moquant les vues du vieil Arnolphe sur la candide Agnès, dans sa prétention à l’épouser avec ses maximes qui saperaient le moral de la plus avertie des femmes, lui ôtant tous ses droits et confinant à l’obéissance aveugle à son mari. Aussi Molière poussera – t – il ses réflexions sur la condition féminine avec les femmes savantes -1672- (Et vous rendez sensibles aux charmantes douceurs/ Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs/ loin d’être aux lois d’un homme en esclave asservie/ Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie) – traitant de l’accès des femmes au savoir et à la science au travers de trois archétypes qu’il confronte à un même amoureux Clitandre, Bélize la pédante, Armande la philosophe, savante et angélique à la fois et sa propre sœur Henriette, la simple et naturelle amoureuse. Et s’il plaît à Molière de louer l’émancipation des femmes, pour se passer des hommes, qui sait, il n’en oublie pas moins de s’amuser avec la figure du roi dans sa pièce Amphitryon à la dimension métaphysique (1668). Dans notre imaginaire panthéonisé du théâtre de Molière, Dom Juan et le Tartuffe, mentionnés ci-dessus, ont une place à part en se disputant la gloire de transmettre à la modernité la grande question : Le libertinage est-il moral ?
3/ Jean de la Fontaine (1621-1695) – (On rencontre sa destinée, souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter) – Considéré comme l’un des plus grands fabulistes de tous les temps, la Fontaine demeure aujourd’hui encore l’un des écrivains les plus populaires de la langue française. On ne dénombre pas moins de deux cent quarante-trois fables contre lesquelles le temps n’a rien pu faire. Succédant à son grand-père et à son père dans la charge de Maître des eaux et forêts, avocat au parlement, éphémère, après trois années de droit, il subira l’influence de Gassendi, déjà cité, éclairant ainsi le matérialisme et l’épicurisme de l’auteur des fables. Écrivain qu’on pourrait supposer tardif, il a 47 ans lorsque ses premières fables sont publiées en 1668, il leur conférera un pouvoir d’avertissement et de mise en garde pour ses contemporains. Auteur sous référence de ses aînés, les auteurs grecs, Esope et Homère, leurs homologues latins, Horace, Virgile et Ovide, il n’en est pas moins redevable à des auteurs plus proches comme Marot, Rabelais. La Fontaine aime à « s’en prendre au prestige des astrologues qu’il qualifie de Charlatans et de faiseurs d’horoscope », c’est qu’il a reçu auprès du philosophe Gassendi de solides notions d’astronomie. Familier de Nicolas Fouquet, il vivra mal la disgrâce de son protecteur, le 05 septembre 1661, jusqu’à adresser à Louis XIV une ode au roi pour M. Fouquet. Tenant d’une monarchie éclairée il n’aura de cesse de dénoncer l’arbitraire du pouvoir royal. « Il est entré à la cour par la petite porte, il en ressort déçu ; aussi bien par l’ambiance délétère que par l’attitude des gens de la cour (trop condescendante à ses yeux). Bilan très mitigé de la cour pour La Fontaine qui après l’avoir quittée déclare son envie d’isolement et déconseille à tout homme du peuple de s’aventurer dans ce type de lieu sous peine de désillusion. C’est pourquoi, il déclare dans la fable – La cour du lion – : Ceci vous sert d’enseignement/ Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire/Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère/ Et tâchez quelquefois de répondre en normand ».
4/ Jean de la Bruyère (1645-1696) – (Il faut rire avant que d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri.) – est à la fois un grand témoin amusé et amer de son temps mais aussi fin observateur de son environnement. Avec Blaise Pascal et La Rochefoucauld, il forme le trio des moralistes du XVIIème siècle en France. Les caractères ou les mœurs de ce siècle, publiés en 1688, auront été son unique livre et son grand œuvre. Ne recherchant ni gloire, ni succès littéraire, La Bruyère n’a qu’une visée : « celle de plaire pour instruire… mettre de l’ordre dans l’univers sans déranger personne, il aime le bon goût, le bon sens et souhaite simplement que la société fonctionne un peu mieux. » Et Patrick Métrope d’énumérer les grands travers qui déterminent la destinée humaine : le mensonge (l’homme est un menteur-né au rebours de ce qu’en pensera Rousseau au siècle suivant) avec les conséquences que tout cela entraîne en termes de mystification, d’impostures, d’endoctrinements, de contrevérités ; le mépris des Grands – inconstants , incapables de tenir parole, au comportement toujours d’apparence -, envers les gens du peuple auxquels il attribue l’humilité et le respect en dépit de l’ignorance et de la brutalité ; L’arrivisme et la servilité des gens de la cour souvent ridicules, pitoyables, sans scrupules, corrompus par l’argent, l’intérêt et la faveur. « Selon La bruyère, le courtisan n’adhère plus au code moral. Il a perdu le sens de l’honneur et adopte un comportement manipulatoire. Dans le fond, peu lui importe qu’on dénonce ses défauts, l’essentiel est, qu’en parallèle, on dise du bien de lui. Il utilise le bien à des fins personnelles, son but c’est la cour. » La vision de La Bruyère sur le monde des hommes est celle d’un Misanthrope tout identique à celle de Molière avec son Misanthrope. « Le monde n’évolue pas et l’espèce humaine ne progresse pas. On a l’impression que rien ne changera même si le moraliste a tout fait pour que tout change.
5/ Jean Racine (1639-1699) – (mais peut-être qu’aussi, trop prompte à m’affliger, j’observe de trop près un chagrin passager – Bajazet – 1672) – Patrick Métrope met finement en parallèle le théâtre de Corneille et celui de Racine. En une annotation l’essentiel est dit : « Contrairement à Corneille, Racine accorde une place importante voire majeure aux personnages féminins et plus précisément à leur passion sentimentale ». Les hommes sont relégués au second plan quelque soit leur rang. Les femmes seules portent l’issue fatale de la pièce. Bérénice, représentée en 1670, traite le thème cornélien du sacrifice généreux, de l’être profond au personnage social. Pièce où la grandeur morale des personnages en lice, conduit au renoncement d’un amour partagé entre les deux amants
Titus : Ah ! Rome ! Ah ! Bérénice ! Ah ! prince malheureux / Pourquoi suis-je empereur ? Pourquoi suis-je amoureux ?… Bérénice : …Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus. / Adieu, Seigneur, régnez, je ne vous verrai plus. »
Le théâtre racinien explore les profondeurs de l’amour-passion, la noirceur à l’œuvre (la jalouse Roxane dans Bajazet, l’incestueuse Phèdre – 1677), de l’abîme à la cime de l’âme humaine. Théâtre d’édification de haute moralité, par son éloge et la place centrale accordée aux femmes, qu’elles soient magnifiques d’abnégation ou toute sombre d’immoralité rageuse, il installe dans l’imaginaire théâtral des personnages féminins archétypaux qui ne cessent de nourrir notre rapport à l’œuvre nous dévoilant ainsi les caches secrètes de la psyché humaine.
D’un abord ludique, amical, le livre de Patrick Métrope s’ouvre à chacun et, signe des temps, fait preuve d’une familiarité, toute en mise élégante pour ces grands témoins de leur temps, ce qui n’est pas le moindre des réconforts en période de gros temps et de doutes cornéliens.
Francis Vladimir