Le Passe Muraille

Leçons de mystère de Rose-Marie Pagnard

 

Leçons de mystère de Rose-Marie Pagnard

Par Bruno Pellegrino

 

Le dernier livre de la romancière jurassienne Rose-Marie Pagnard, Le Motif du rameau et autres liens invisibles, est de ceux qui ne vous envoûtent qu’à condition de bien vouloir vous laisser faire. Car dans cet univers si proche du nôtre, l’étrange rôde, attend aux contours, se jette sur les personnages; l’écriture est précise, mais elle refuse de s’en tenir à la réalité qu’elle énonce. Dès lors, le lecteur doit faire confiance à ses guides.

Ben Ambauen est écrivain, et il a une mission: «présentement, à dire juste, immédiatement et de toute urgence, il devait écrire ce qu’il savait et ne savait pas de cette femme: pourquoi, comment, mystère.» Cette femme, c’est Ania. D’elle, on connaît ses parents adoptifs, ex-cascadeurs; son mari, Ennry Pinkas, juriste de petite taille sujet à une folie violente et in-termittente; quelques éléments biographiques, son triste des-tin d’orpheline. On sait aussi qu’elle a suivi son mari à Tokyo, où on la voit, jalouse, chassant «l’insouciance stupide crimi-nelle» incarnée en la personne d’une femme d’affaires japo-naise, propriétaire d’une chaîne de salons de thé, qui a mis en danger la vie d’Ennry.

Raconter plus longuement les péripéties de ce roman ne pourrait qu’en ternir les traits; car ce qui importe dans ce livre «simple mais inexplicable», c’est l’espèce de musique qui le parcourt, c’est cette ma-nière de construire un monde cohérent jusque dans son ins-tabilité, qui menace à chaque phrase de glisser dans le rêve ou la folie (la Folie que l’on croise d’ailleurs en personne), ou dans son versant poétique, la mélancolie, un monde où déambulent des personnages que la vie n’a pas épargnés, entre orphelins, meurtriers involontaires, enfants morts en plus ou moins bas âge, et autres misères quotidiennes. Avançant au rythme de motifs obsédants (les corbeaux de Tokyo, l’archet d’Ennry, le rameau et son sillage de fo-lie), ce roman exige du lecteur une attention peu commune, et surtout une ouverture, une souplesse d’imagination, qui font que l’on ressort comme revigoré de cette lecture aux accents pourtant extrêmement sombres. Suite de leçons de mystère, d’étrangeté, de gravité légère («il faudrait toujours garder un peu de tristesse pour l’imprévisible»), Le Motif du rameau est un texte très vivant, surprenant, «une histoire qui marche sur l’eau», un poème où tout se tient et se répond par de subtils réseaux, un poè-me «pas plus compliqué qu’un sourire».

B.P.

Rose-Marie Pagnard, Le Motif du rameau et autres liens invisibles, Éditions Zoé, 2010, 220p

Le Passe-Muraille, No 81, Avril 2010.   

 

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