Le Passe Muraille

Le pot-au-feu selon Haldas

À propos de La Légende des repas,

par Jean Perrenoud

Il y a tout juste vingt ans paraissait en Suisse un livre savoureux. Haldas nous régalait alors de sa Légende des repas, qui a été conçue comme on cuisine un pot-au-feu. Imaginez un cuisinier attentif préparant avec soin les divers ingrédients composant ce plat aux mille senteurs. Pour un repas simple, pour un repas sans chichis, à la bonne franquette pourrait-on dire, accompagné d’un petit rouge qui ferait agréablement descendre le tout. Le pot-au-feu mérite en effet tous les soins : il faut écumer la viande qui bout, puis ajouter petit à petit les légumes, dans un ordre particulier selon la saison, pour qu’ils gardent une consistance fondante sans pour autant s’émietter.

Ecumer les histoires et n’en garder que quelques-unes, pour les placer ensuite dans un ordre particulier, afin de captiver le lecteur, voilà tout l’art de ce cuisinier particulier. Cette légende est ainsi, comme le rappelle Le Robert, à la fois un récit populaire traditionnel (plus ou moins fabuleux), mais aussi un texte qui accompagne une image et lui donne son sens.

Et, du sens, La Légende des repas en déborde. Haldas nous convie à un repas qui est avant tout pour lui un rappel de mémoire, mais aussi un hommage aux bonnes choses de la vie. Pour le lecteur, il s’agit de se laisser inviter par un très vieux Monsieur qui partagera avec lui le pain et les récits de Ses Très Riches Heures. Le lecteur pourra aussi se laisser emporter vers ses propres souvenirs gustatifs. Pour Haldas, les croquettes, les carottes crues ou l’oeil de mouton lui font toujours un peu froid dans le dos ou serrent la gorge au point de ne rien laisser passer sauf peut-être, le tout, grâce au Vin. Mais la Mayonnaise, les Pois chiches, le Petit Salé apporté par la Serveuse gardent à travers tant d’années toute leur saveur.

Notre conteur énumère pour le lecteur une liste de plats qui deviennent autant d’illustrations de sa propre vie, offrant un éclairage sur son propre destin d’homme (partagé entre plusieurs cultures) et fondent une série de réflexions pertinentes sur soi et les autres. En quelque sorte, il nous interpelle : montre-moi ce que tu manges, comment tu le manges, et je te dirai qui tu es. Il nous donne aussi un témoignage sur la manière de manger au XXe siècle et nous rappelle ce que nous sommes : de simples hôtes sur cette terre nourricière.

Bien sûr, Haldas nous parle également du temps qui passe et du plaisir, à prendre au quotidien. A l’époque des fast-foods, il nous présente, par ses Repas, quelques instants essentiels de bonheur.

Cependant l’auteur se défend d’être acteur : il observe, il goûte, il rend compte, mais ne cuisine pas, à l’inverse d’un Vazquez Montalbàn par exemple. Sait-il même se confectionner un oeuf dur ? On en doute, mais peu importe. Sa verve est telle qu’on va jusqu’à lui pardonner son chapitre sur la Croustade au charme antiféministe un peu désuet. D’autres récits sont tellement épicés de son humour et la Croustade demeure un repas si magnifique, qui permet d’ailleurs de réutiliser les restes du pot-au-feu.

Mais le pot-au-feu justement, c’est aussi ici le contenant de la Légende, soit une Légende illustrée par la Laitière de Vermeer et les dessins de Pierre Omcikus, et le feu rappelle bien entendu le fourneau du Boulevard des Philosophes/Rue Saint-Ours sur lequel tant de repas légendaires ont été préparés par la Petite Mère, Tato et la grand-mère. Trois Dames, trois vestales auquel Haldas rend un hommage qui se poursuit par notre lecture même. Les weight watchers passeront probablement leur chemin, déçus… ou, on peut l'(in)espérer, abandonneront leur régime pour jouir, enfin.

J. P.

Georges Haldas. La Légende des repas. Illustrations de Pierre Omcikus. Julliard I L’Âge d’Homme, 1987, 192 pages.

 

(Le Passe-Muraille, No 72, Mai 2007)

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