Le Passe Muraille

Le métier de mourir

Pavese en Quarto,

par Jean Perrenoud

C’est Frank Monnet, auteur-composi-teur-interprète comme on dit, qui m’a le premier parlé de Cesare Pavese (1908-1950): «Lointain futur de l’indicatif / Il est asservi à son piquet/ Il va rayonnant tel un chien ivre/ Qui l’a donc ainsi contaminé?»«Dors, petit homme inquiet…»«L’unique et âpre métier de vivre / Est pour chacun de nous différent/Enfin il faut sa-voir accueillir / La mort, mais c’est le métier qui rentre…»

Lors d’un concert à l’Echando le d’Yverdon-les-Bains, donné en septembre 2007, le chanteur déplorait que les textes de Pavese soient difficiles à trouver rappelant que Le Métier de vivre était un journal incontournable pour tout lecteur curieux des écrivains de la première moitié du XXesiècle. Il en appelait dans sa chanson à sauver Pavese.

En septembre 2008, la lacune est désormais comblée pour Pavese, et de la belle manière. Pavese semble ainsi sauvé, pour le lecteur de lan-gue française tout au moins. Ironie du sort, ce sont désormais les anciens albums de Monnet qu’on a de la peine à trouver chez les disquaires en Suisse…En effet, Martin Rueff, après avoir collaboré à l’extra-ordinaire édition de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss dans la Pléiade, nous offre une mer-veilleuse vie et œuvre illustrée de Cesare Pavese intitulé sobrement Cesare Pavese Œuvres, chez Quarto Gallimard, richement documentée.

On y trouve tous les livres et rien que les livressoit entre autres, Travailler fatigue, Par chez toi, La Plage, Vacance d’août, Le Camarade, Dialogues avec Leucò, Avant que le coq chante, Le Bel été, La Lune et les feux et surtout Le Métier de vivre dans une édition intégrale établie sur manuscrit avec un choix de lettres.

Rueff nous offre une préface pertinente qui permet au lecteur ignorant de l’œuvre et assez patient pour lire 0 pa-ges, heureusement assez alertes, d’apprendre l’essentiel sur l’écrivain Pavese. J’en retiens cette belle citation: «L’histoire d’une vie, quelle qu’elle soit», écrit Sartre, «est l’histoire d’un échec.» Il n’y a donc pas d’échec de Pavese, il y a l’échec de nos vies que nous ne finissons pas de rater et que le génie des écrivains consiste à ne pas transformer en triomphes, mais offre à notre méditation émue avec la seule délicatesse qui ne se paie pas de mots en «une des rares délica-tesses qui refuse de se payer de mots», la littérature. Le moins que l’on puisse dire, certes, c’est que Pavese n’invite pas à l’opti-misme, mais que toute son œu-vre, la forme qu’il donna à son existence par ses métiers, et à ses textes par ses obsessions, vont dans le sens d’une inquiétude sans concession. C’est un che-min vers une colline impossible à rejoindre où brillent des feux, où sourient des femmes et ba-vardent des hommes; en contre-bas, sur une barque, non loin de la touffeur des arbres, on bronze nu. À chercher la colline im-minente de Pavese, on ne vivra pas seulement plus intensément, mais encore, plus authentique-ment, au plus proche de soi et de ses contradictions. N’est-ce pas cela qu’on doit attendre d’un véritable écrivain?À la préface fait suite une biographie de 65 pages, jo-liment illustrée, qui permet, véritablement, de suivre l’évo-lution de l’écrivain, son atti-tude vis-à-vis du fascisme, son engagement sans faille auprès des éditions Einaudi, son ad-miration pour Italo Calvino (qu’il contribue à faire pu-blier) et pour Walt Whitman auquel Pavese consacre sa thèse. Déjà en 190, on peut lire dans ses écrits «le remords d’avoir mal fait, le regret de ne pas avoir su faire bien»… On y sent que le travail incessant, poursuivi pendant la guerre dans des conditions effroya-bles, les grandes amitiés, les amours, les engagements multiples, notamment au parti communiste, le soutiennent et le sauvent chaque jour du désespoir, mais l’affaiblissent grandement aussi, jusqu’au suicide, le 27 août 1950.

Il nous laisse des lignes émouvantes, à (re)découvrir sans tarder:

«La cadence de la souffrance a commencé. Chaque soir, à la tombée de la nuit, mon cœur se serre – jusqu’à la nuit.» (Le Métier de vivre, 8 mai 1950)

«Dans l’inquiétude et dans l’effort d’écrire, ce qui soutient, c’est la certitude qu’il reste quelque chose de non dit dans la page». (Le Métier de vivre, mai 192)

«Le rêve est une construction de l’intelligence, à laquelle le constructeur assiste sans savoir comment cela va finir.» (Le Métier de vivre, 22 juillet 190)

«Il y a une chose plus triste que rater ses idéaux: les avoir réalisés.» (Le Métier de vivre,18 décembre 197)

Nous étions très jeunes. Cette année-là, je crois bien que je ne dormis jamais. Mais j’avais un ami qui dormait encore moins que moi, et cer-tains matins, on le voyait déjà se promener devant la gare à l’heure où arrivent et partent les premiers trains. (début de: Le Diable sur les collines)

J.P.Frank Monnet, Malidor.pour plus d’information: www.totoutard.com

Cesare Pavese,Œuvres, Quarto

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