Le Passe Muraille

L’amitié de flamme et de cendre

 Un traité tonique et nuancé de Patrick Tudoret…

 

Que voilà un petit livre de l’amitié réjouissant et souriant. Et que ces choses-là sont dites avec des bleus à l’âme. Est-il besoin de souligner l’importance de l’amitié dans un monde qui n’a plus de boussole car s’il en reste une c’est bien celle-là. L’Amitié avec un grand A, tant il est vrai que du plus lointain qu’on se retourne, du pays de l’enfance aux contrées de l’âge mûr, nous vient et nous reste du paysage de l’ami(e) le goût subtil des mots, aux lèvres venus, pour dire le sentiment ineffable de l’avoir connu(e). Et où qu’il soit, où qu’elle soit, reste la présence sensible, la découverte, au creux du cœur, au tréfonds de la mémoire qui, bonne fille, se plaît à nous les rappeler, à nous remettre aux flots pour que d’un seul et même élan nous retrouvions ce tout premier geste, ce tout premier regard, ce tout premier mot, fondement d’une amitié pour l’autre, notre gémeau. «  Que dire de cette gémellité stellaire comme on pourrait l’appeler sobrement ? Qu’elle est un miracle »

Ainsi, l’auteur nous promène au petit bonheur la chance des belles amitiés, insolites par leur manière d’advenir, souveraines pour certaines, rompues pour d’autres ( à découvrir à la lecture ). Il glisse comme en son habitude dans le grand bréviaire de ses lectures, bues à grandes goulées, avec une souplesse de félin réfugié dans sa vallée du Loir, et maintes fois rapportées dans ses écrits et ses hymnes à la joie ( En marchant. Petite rhétorique itinérante/ À Compostelle. Hommages au chemin de Saint-Jacques/Petit traité de Bénévolence/L’homme qui fuyait le Nobel). Il est vrai que l’amitié est d’un Saint ordre ( l’auteur recommandant les Chartreux, pour leur silence), mais dès lors qu’elle use de sa parole, elle est aussi de l’ordre de la crainte, cette infernale transe, torsade des boyaux ou confusion de l’esprit, qui taraude sans qu’on sache pourquoi et cette ignorance que nous avons des raisons de la perte, de celui et celle qui brise ou qui nous quitte, donne ainsi chair et spiritualité ou détresse à cet abandon que l’amitié commande pour l’autre.

Ainsi va donc le monde depuis qu’en son commencement, remontons à Noé, ce sera suffisant, tout est affaire incessante de grandes amitiés nouées et dénouées, belles et moins belles, encensées ou décriées, balbutiées ou chantées, portées au pinacle ou clouées au pilori, de sorte qu’au jour présent ce petit livre de l’amitié, aux reflets changeants, à la tonalité respectueuse par instants, facétieuse à d’autres, nous amuse, nous rafraîchit, nous balade dans de multiples décors où l’amitié se fond en elle-même pour mieux surgir dans les nombreux lacets que toute vie connaît. Cette route qui nous est offerte pour qu’à notre tour nous nous y reconnaissions, que nous lancions le décompte et le compte à rebours des amitiés anciennes, des amitiés récentes, des amitiés tout court, il nous plaît de la suivre de la première à la dernière page avec, toujours, une curiosité attisée par le savoir de l’auteur qui n’est jamais lourd ou magistral, plutôt des rappels le long de cette paroi abrupte que l’amitié dresse devant nous, et d’une légèreté éprouvée. Il y a du feu qui couve en amitié comme s’il nous fallait nous y brûler les ailes pour que l’autre sache à quel niveau, à quelle cime nous entendons commettre l’acte sidéral de tomber en amitié.

Que tout cela est bien dit, prononcé, tourné, enveloppé, éclairé et révélé dans une langue éclairante d’elle-même, qui se rappelle les vraies douleurs de l’absence, qui n’en oublie pas les attentes nécessaires à tout âge, les coups de gueule et les absolutions et ne se reniant jamais. Il en va de l’amitié comme de l’ânesse Modestine de l’écossais Stevenson, bourrue, têtue, frondeuse, musardière, ce qui la tisse, la maille, la fortifie, la scelle, l’amitié, fût-elle celle de l’homme et de la bête. « Oh, bien sûr, mon père en eut plusieurs des chiens, souvent malins, attachants, frères d’armes pour les conneries les plus potaches, mais celui-là fut mon chien…Louvoyant et dissimulateur il eût mérité le titre de Talleyrand canin. Sans compter cette obsession sexuelle qu’il contracta bêtement dans l’âge mûr après un long pucelage sans tache. Malgré tout cela, le meilleur pote de la terre, fine gueule et caboche de breton ! Et voilà, soudain, qu’en écrivant ces lignes, l’émotion vient. Alors,peut-on parler d’amitié entre un homme et un chien, un animal ? Aristote affirmait que non, qu’il me permette de penser que oui… »

Il faut toujours s’attendre au pire en amitié. Au pire et au surprenant ce qui nous éloigne de certains canons et littéraires, et religieux et… et… Tout ça pour énoncer qu’il n’y a pire amitié qui ne se croie au-dessus du lot et qu’il n’y a plus grande amitié que celle qui ne se dit. Et c’est un peu entre ces deux eaux que flotte ce petit traité, qui sans l’avouer, simplement, est en quête de l’impérissable et de la transmission ce qui le rend infiniment juste et rieur à la fois.

Francis Vladimir.

 

Patrick Tudoret. Le petit livre de l’amitié, aux éditions Salvator 130p.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *