Le Passe Muraille

L’Afrique à côté de chez vous

À propos de Mosso, de Nétonon Ndjékry,

par JLK

 

C’est l’histoire d’une Tchadienne de seize ans prénommée Dendo qui, après avoir « allumé » son prof de gym sous l’effet d’un éveil sensuel ardent, se fait surprendre avec celui-ci en position délicate, au point que le couple est sommé de se marier, « fait avec », se découvre une passion commune pour la lecture mais en reste là puisque l’homme est écrabouillé, en plein Ndjamena, par un camion sous les roues duquel l’ont poussé deux louches individus enturbannés, envolés dès leur crime commis. Attentat politique ? Exécution commandité par la redoutable Sécurité d’Etat ? La jeune veuve pourrait s’en battre l’oeil et empocher la dyia, dette de sang traditionnelle à laquelle elle aurait droit de la part du chauffeur du camion — et les familles la poussent à l’accepter. Mais Dendo ne croit pas à la culpabilité dudit chauffeur et son besoin de vérité et de justice est le plus fort. Aussi s’engage-t-elle dans une folle aventure à forte valeur « documentaire » ajoutée sur une société gangrenée par tous les trafics, aux ramifications internationales et jusque sur les hauts de l’illustre Réarmement moral surplombant Montreux, ou la malice de l’auteur conduit la protagoniste piégée dans un réseau de prostitution, à trois coups d’ailes de l’innocent chalet où j’écris ces lignes…

Avec le trait stylisé et la rapidité d’exécution d’un « polar » qui vont de pair avec une belle truculence, un sens accompli du tragicomique et une frise de personnages bien campés -, Mosso, le dernier roman paru de Nétonon Noël Ndjékéry, prolonge et élargit, hors des frontières du Tchad, les observations de cet écrivain aux talents conjugués de conteur, de poète et de critique acéré en matière sociale et politique.

Né le jour de Noël 1956 à Moundou, fils d’un tirailleur blessé à la bataille de Monte Cassino et qui s’est estimé floué par la France, Nétonon Noël a vu les derniers jours du colonialisme avant de vivre les lendemains qui déchantent des indépendances. Tôt passionné de lecture (ses premiers chocs sont liés à la peinture au vitriol que Louis-Ferdinand Céline fait des colons français au Cameroun dans Voyage au bout de la nuit, et au Retour au pays natal d’Aimé Césaire), Nétonon Noël a toujours été, aussi, sensible à la chose sociale et politique. Ses livres sont ainsi marqués par sa révolte contre l’injus-tice ou la violence. Un premier prix littéraire aura couronné La descente aux enfers, nouvelle au titre significatif !

Avec son premier roman, Sang de kola (L’Harmattan, 2002), il restitue le climat de la guerre civile, qu’un ancien appelle « le règne de l’envers des choses », dans un hameau de la région de Ndjaména qui prend des dimensions de microcosme choral extrêmement vivant. Dans ses Chroniques tchadiennes (InFolio, 2008), l’écrivain concrétise littérairement, avec brio, son désir de mêler tradition orale et chose écrite. À la fois violent et poétique, ce roman d’un impossible amour entre Haïtara et Souloulou aborde également un monde miné par la pesanteur des traditions, le cynisme et la corruption ambiante, sur fond de pillage économique et de guerre civile. Avec la double présence symbolique et réaliste d’un tamarinier nain et d’un griot, le livre cristallise les convulsions de l’Afrique contemporaine et a marqué une nouvelle avancée dans la maîtrise du romancier, confirmée par Mosso.

À noter enfin que, par sa situation de Tchadien établi en Suisse, où il a fait souche avec sa femme suisse et leurs deux enfants, sans rompre ses attaches avec son pays, Nétonon Noël Ndjékéry illlustre un nouvel état de la littérature vivante en nos murs, et sans doute a-t-il encore beaucoup à nous apprendre, sur son pays autant que sur le nôtre…

JLK

Nétonon Ndjékéry. Mosso, InFolio, 2011, 362 p.

(Le Passe-Muraille, No 88, Avril 2012)

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