Le Passe Muraille

La littérature pour patrie

Les invitations à la lecture de Pierre-Olivier Walzer,

par René Zahnd

Il est des ouvrages dits de critique littéraire qu’on laisse choir après quelques pages. Émanations de groupuscules de chercheurs, de factions de thésards, de manieurs de sabir qui cherchent désespérément à réduire la littérature à une science exacte, ils composent une manière de fouillis sémantique, proprement incompréhensible au commun des mortels. Mais, après tout, point n’est besoin de faire le procès de ce collège ésotérique: mieux vaut se délecter à la fontaine des œuvres.

Pourtant, certains livres ressortissant à cette discipline échappent avec bonheur à la cacophonie jargonneuse. On y sent une complicité avec le texte, une conversation ininterrompue avec les écrivains, une envie de partager ses joies et ses découvertes. Le livre que Pierre- Olivier Walzer vient de faire paraître, sous le titre Approches I, s’inscrit dans cette catégorie.

Dans une préface au titre beckettien, «Fin de partie», l’ancien professeur de l’Université de Berne évoque sa relation constante à la chose écrite. «A quoi sert la littérature», se demande- t-il avant de confier: «A rien probablement, la littérature est une activité qui ne répond à aucun des besoins fondamentaux de l’ animal humain. C’ est une activité de luxe. C’ est l’ originalité de ma “patrie”». Puis Pierre- Olivier Walzer définit sa position critique, défendant en particulier l’existence de l’auteur, laquelle avait une fâcheuse tendance à disparaître ces dernières décennies.

Ensuite débute le recueil, qui rassemble, pour l’ essentiel, des textes essaimés en revue. Les auteurs approchés sont de ceux que Pierre-Olivier Walzer affectionne, auxquels il ne cesse de revenir. En revanche, la manière de les aborder témoigne d’ une belle liberté d’esprit et varie énormément d’ une étude à l’ autre. Dans le cas de Germain Nouveau, par exemple, le critique parle des épreuves des Valentines, étude savantissime qui éclaire la genèse même d’ une poésie, tout comme il évoque la sœur du poète, Laurence Nouveau-Manuel, laquelle versifiait à ses heures de manière tout à fait convenable.

Des quatre textes voués à Paul-Jean Toulet, grand amour littéraire de Pierre-Olivier Walzer, on retiendra surtout celui traitant des relations de l’ auteur des Contrerimes et de Paul Budry. Ce dernier dirigeait en effet la revue des Ecrits Nouveaux (1917-1922) qui non seulement regroupait les meilleurs écrivains de l’ époque mais qui, de surcroît, affichait l’ insigne privilège de rémunérer ses collaborateurs. Toulet n’ était insensible ni à l’un, ni à l’autre de ces aspects.

«La situation du vice en 1900» permet à Pierre-Olivier Walzer, avec cette érudition parfois joyeuse qu’on lui connaît, de dresser un portrait des mœurs de la société au début du siècle. C’ est dans ce contexte que s’ inscrit «La révolution claudinienne» – entendez le chambarde- ment que provoqua, dans les esprits, l’ apparition des «Claudine» – et un texte aussi attachant que curieux, qui parle de la carrière de Colette au musichall.

Après cet intermède, disons léger, Pierre-Olivier Walzer revient à une autre de ses grandes amours littéraires: Cendrars. Les quatre textes réunis sur l’ auteur de Moravagine parlent tour à tour de ses origines bernoises, de la «naissance» de Blaise Cendrars à l’ écriture (la nuit des Pâques à New York), de l’énigme de la date de rédaction de la Prose du Transsibérien. Un même type d’étude traite ensuite du cas Apollinaire, avec une enquête détaillée sur sa généalogie, alors que des contributions sur l’ Esprit Nouveau et sur une Bibliothèque Idéale, conçue par Breton à la demande de Jacques Doucet, concluent l’ ouvrage.

Dans cet ensemble de textes, Pierre-Olivier Walzer paraît ne jamais parler de l’ essentiel. Ce sont toujours des éclairages latéraux, des événements qui peuvent passer pour anecdotiques qui servent de matière première au critique. Mais, en réalité, c’ est bien la multiplication des éclairages qui est intéressante. Le titre adopté pour cet ouvrage est d’ailleurs éloquent: Approches I. On ne va pas à l’essentiel, on s’en approche. L’essentiel reste toujours l’ œuvre elle- même. Or la très belle leçon de ce livre est d’ inviter constamment à la lecture ou à la relectu- re. En fermant le livre de Pierre- Olivier Walzer, on retourne sans coup férir à sa bibliothèque, grappiller quelques ouvrages dans les rayons Nouveau, Toulet ou Cendrars.

Pierre-Olivier Walzer, Approches I, Paris, Honoré Champion Editeur, 1993.

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