Le Passe Muraille

La classe classieuse des Classiques

           

 

Sur les Lumières du XVIIIe siècle français

par Francis Vladimir

 

Dans ce tome 3 de la série En avant les classiques, qui dame le pion au tome 2, à paraître cet été 2024, Patrick Métrope fait le choix de présenter aux lecteurs, des figures que la postérité a figé dans le marbre de la célébrité littéraire, d’autres, oubliées à tort, dont il se plaît à titiller notre curiosité. Voilà donc sept phares rallumés pour mieux nous éclairer même si dans ce XVIIIème des lumières, le bon plaisir du Roi cédant la place au désir de Révolution, l’époque fut des plus chamboulée. Le parti-pris de l’auteur-conférencier est de nous plonger dans l’oeuvre et la vie des auteurs classiques. Pour brosser ce siècle tellurique, il aborde au théâtre, à la philosophie des lumières et à l’engagement politique et historique. Pour chacun de ces items, il fait le choix emblématique des personnalités qui furent dans leur siècle et leur époque.

1/ Pour d’eux d’entre eux, Marivaux ( 1688-1763) et Beaumarchais ( 1732-1799), le rideau se lève sur la scène du théâtre. Avec le jeu de l’amour et du hasardet la double inconstance, le premier s’adonne à la comédie des masques. Sans forcer le détail, rappelons que le théâtre de Marivaux, pour reprendre Sainte-Beuve, dans ses causeries du lundi, avec « son marivaudage, son badinage à froid, espièglerie compassée, pétillement redoublé et prétentieux, enfin une sorte de pédanterie sémillante et jolie » n’est jamais exempt d’une moralité touchante : « …cultiver l’émotion pour amener le lecteur à la vertu. À la base, le procédé utilisé par le Prince peut s’avérer indécent, mais l’art théâtral peut se servir de cette vérité pour atteindre une dimension fantastique à laquelle participe le spectateur. » Et si son œuvre sombra quelque peu dans l’oubli, dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, il faudra attendre l’arrivée des pièces de Musset pour redonner envie au public de redécouvrir l’originalité et l’élégance du théâtre de Marivaux. Le renouveau du théâtre de Marivaux ne sera alors plus démenti.

Favorable à la philosophie des Lumières, Pierre Auguste Caron de Beaumarchais, atteint à la postérité avec le personnage de Figaro ( Le barbier de Séville, Le mariage de Figaro). L’auteur rappelle sa pensée libertaire, son audace et sa témérité. Constitutive d’une mythologie théâtrale , l’oeuvre de Beaumarchais n’en connut pas moins la censure et les polémiques de son époque. « Souviens-toi qu’un homme sage ne fait pas affaire avec son temps » et, sans ambages, Patrick Métrope nous rappelle combien le théâtre de Beaumarchais s’ancre dans les pratiques et mœurs du temps, et fait écho à la colère et exaspération populaires qui ne cessaient de grandir. L’oeuvre comme il est souligné, à raison, est annonciatrice des bouleversements à venir et est pré-révolutionnaire. L’auteur s’amuse à restituer et resituer l’affaire des fusils de Hollande qui fut à Beaumarchais sa descente aux enfers entre juin 1792 et février 1793, événements qui prennent des allures d’Odyssée et s’il plaisait à Beaumarchais de s’interroger sur un nouvel art théâtral dont la postérité n’aura cesse de le louer, l’art politique lui fut une douloureuse réalité qui n’autorisait guère d’en rire, et lui valut in extremis d’échapper à l’échafaud.

2/ Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire ( 1694 – 1778)

Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau ( 1712 – 1778)

Je ne suis pas notaire, c’est la faute à Voltaire

Je suis petit oiseau, c’est la faute à Rousseau

Cette petite grande âme, écrit Victor Hugo, venait de s’envoler…

Il fallait bien en passer par ce clin d’oeil pour s’atteler à ces deux pointures qu’ils furent l’un et l’autre, comme avec d’autres tels, Diderot et D’Alembert par ailleurs encyclopédistes hors pair. « Pourquoi avons-nous été si nombreux dans l’histoire humaine à vouloir chercher la lumière et beaucoup plus à vouloir l’éteindre ? C’est l’une des problématiques majeures à évoquer lorsqu’on aborde la philosophie des lumières car, si certains auteurs tombent rapidement dans l’oubli, d’autres en revanche sont d’une modernité consternante. C’est le cas de Voltaire…. Les questions qu’il a eu l’audace de soulever à son époque comme la liberté d’expression, la laïcité ou l’anticléricalisme font régulièrement partie des débats du quotidien. »François-Marie Arouet, de son vrai nom, ou Voltaire comme il choisit de se nommer, assez mystérieusement, après ses onze mois d’embastillement en 1718, aura écrit une œuvre dense et multiforme dans laquelle son Candide, satire de l’ignorance et de l’aristocratie, aura marqué les esprits de l’époque et accompagné des générations de lycéens. « L’ignorance est un fléau qu’il faut combattre à tout prix. Gloire à la science qui apporte de nouvelles lumières sur les choses en rétablissant tout ce qui se passe dans le réel selon l’ordre mécanique auquel ce récit obéit. Selon Voltaire, Dieu est d’abord un grand mécanicien, le grand horloger du monde mécanique comme témoigne son célèbre vers : L’Univers m’embarrasse, et je ne puis songer/ Que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger » et rappelons la fameuse maxime devenue célèbre « il faut cultiver son jardin ». Face au succès de l’oeuvre, Rousseau se plaira à en relever les bouffées délirantes, à partir de la critique de Leibnitz que Voltaire prête à maître Pangloss jusqu’à résumer dans une lettre adressée à Voltaire « Tout n’est pas bien. Mais le tout est bien ». Et l’auteur Patrick Métrope, quant à lui, grave, facétieux ou fataliste, je ne sais, rajoute « La vie se continue au-delà de la mort sur un autre théâtre ». Le nom de Voltaire est intimement accolé à celui de Jean Calas ( Toulouse, années 1761/1762), qui fut la grande affaire de Voltaire contre l’intolérance et le fanatisme religieux et qui validera son ouvrage de référence : Le traité de la tolérance qui rend compte de son humanisme éclairé et lui vaudra d’entrer au Panthéon dès 1791 comme précurseur de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.

Jean-Jacques Rousseau jouait du pipeau et, musicien, composait même à quarante ans (1752) un opéra en un acte Le devin du village. Mais le neveu de Rameau ne contient-il pas en creux un hommage à Jean-Philippe Rameau en opposition à la musique de Lully que Rousseau jugeait sévèrement ? Mais JJRousseau est attiré par tous les arts. Boosté par Diderot « Il remporte ( en moraliste) haut la main le concours ( à Dijon ) en rédigeant son fameux discours sur les sciences et les arts ». En 1754, JJRousseau participe à nouveau sur le thème Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes . Cette fois-ci, il fait chou blanc et ne remporte pas le prix et son discours est même condamné par l’église. Pour Voltaire et David Hume, JJ Rousseau passe pour un révolutionnaire de l’ordre social et, par voie de conséquence, un homme dangereux en matière de vie politique et sociale dont il trouble la paix. L’idée de fraternité, comme idéal d’une société humaine juste, voilà ce à quoi JJRousseau s’attaque et s’attache à définir ; une nouvelle ligne d’horizon à tracer que le contrat social- essai d’une forme de République – et l’Émile posent comme bases, sous-tendant ainsi un idéal révolutionnaire en devenir. Si le succès de librairie de la nouvelle Héloïse en 1761 pouvait prédisposer bonnement les lecteurs à l’égard du Suisse de Genève pour les deux traités précités, c’était sans compter sur les temps difficiles avec la censure d’Ancien régime. Ils furent donc écoulés clandestinement, lus sous le manteau, passant en contrebande les frontières et restèrent presque inaperçus. L’idée était que la société est un contrat entre le pouvoir et le peuple, c’est à dire un contrat explicite, un accord total entre les hommes. JJRousseau s’interroge sur l’institution politique idéale qui doit exclure toute influence religieuse et comme il le dit lui-même : « On doit tolérer toutes les religions qui tolèrent les autres pourvu que leurs dogmes n’aient rien de contraire aux devoirs du citoyen. Mais quiconque dit : hors de l’église point de salut, doit être chassé de l’État. » Au tabou de la religion, qu’il fait voler en éclat, JJRousseau s’en prend à celui du monarque absolu, soit celui du tyran qui très précisément est un particulier qui s’arroge l’autorité royale sans en avoir le droit. Présageant et préjugeant ainsi de l’avènement de la République, à une voix près si nécessaire ( rappelons que la mort de Louis XVI passa à une voix près, 361 contre 360). Et s’adressant plus directement au législateur « « Plus vous multipliez les lois, plus vous les rendez méprisables .»Toutes choses qui vaudront à JJR de connaître les affres des admonestations, des perquisitions, des cabales, des menaces de mort et même de l’autodafé, en place publique, du Contrat social et de l’Émile, ces deux futures bibles de la Grande Révolution. Avec JJRousseau s’écrit, en primeur, au fronton de nos édifices publics la devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité.

3/ Choderlos de Laclos ( 1741-1803) eût aimé passer à la postérité pour ses seuls faits d’armes. La gloire militaire ayant à ses yeux un attrait supérieur à celle que la postérité, à l’humeur capricieuse, a retenu à son encontre. Les liaisons de Choderlos de Laclos, bien que dangereuses n’en furent pas moins un genre épistolaire que d’autres avant lui ( Dame de Sévigné pour mémoire) ont goûté et placé sous l’extrême-onction de la littérature même si, comme il est dit, un auteur comme Paul Léautaud les taxait de Pouilleries de la littérature. N’empêche que nous gardons en tête les noms des deux principaux protagonistes de ces échanges de lettres (175), le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil. Est-il nécessaire de rebattre les cartes quand tant de cinéastes et non des moindres se seront amusés à jouer et rejouer la partie ( Valmont de Milos Forman, Les liaisons dangereuses de Stephen Frears, Les dames du bois de Boulogne de Robert Bresson) ? Roman satirique sur le libertinage au sein de la noblesse, il n’en est pas moins une réflexion sur la condition et l’éducation des femmes, soumises dès leur plus jeune âge à l’autorité parentale et à son application aveugle, le mariage arrangé et forcé, posant ainsi la nécessité pour les femmes d’accéder à une vraie dignité humaine. Il faut lire le livre de Patrick Métrope qui, fidèle en son principe de réalité partagée, rapporte en une fine analyse l’affaire de la pétition républicaine du Champs-de-Mars (17juillet 1791), de la fusillade qui s’en suivit, qui signe la forfaiture de la monarchie qui se voulait encore absolue. La bataille de Valmy, en septembre 1792, qui arrêtera l’avancée des troupes austro-prussiennes, adoubera Choderlos de Laclos à sa gloire militaire qu’il parfera jusqu’en 1802, sous l’Empire avant que de succomber à une banale dysenterie, loin du champ de bataille.

Madame Roland, Manon de son doux prénom ( 1754-1793), une vigie des lumières, exemplaire et passionnée. Sa correspondance confirme qu’elle a côtoyé de près toutes les figures politiques et historiques importantes du moment : de LouisXVI à Robespierre. Femme du ministre de l’intérieur ( nommé en mars 1792) Jean-Marie Roland de la Platière, issue de la bourgeoisie aisée, elle tenait salon comparable en haute tenue à ceux qui se tinrent dans le siècle. Elle fut ainsi un témoin actif de la Révolution et n’hésitait jamais à pourfendre la mascarade que revêtaient les plus hautes instances, tel le conseil des ministres près du roi. Patrick Métrope revient sur Les morts du Champs-de-Mars, et dans la relation qu’en fait Mme Roland, il y est dédouané Choderlos de Laclos qui avait dû bataillé pour écarter de lui soupçon et responsabilité de cette funeste journée ( à lire dans le livre). Affiliée aux Girondins, confrontée aux Montagnards et notamment malmenée et accusée par Marat devant la Convention, elle se prononcera pour la détention de LouisXVI . La guerre de Vendée précipitera sa fin, de par la position même de son époux. Et si Manon Roland milite en faveur des droits du vote des femmes, forgeant ainsi la crainte des Montagnards de se voir dessaisis d’une majorité à la Convention, elle affrontera seule, son mari enfui à Rouen suite à la loi sur les suspects, son destin de femme politique sous la révolution, payant ainsi à la place de son époux, par sa condamnation à mort. Incarcérée durant cinq mois de 1er juin au 08 novembre 1793, elle écrira ses mémoires qui, éloquemment, retraceront cette période troublée.

Jean-Pierre Claris de Florian (1755 -1794) ou le tragique destin d’un fabuliste, petit-neveu de Voltaire, à qui on doit des fables et proverbes frappés à la bonne morale populaire : Pour vivre heureux, vivons caché/ La vérité toute nue, sortit un jour de son puits/ Chacun son métier, les vaches seront bien gardées/Rira bien qui rira le dernier. Rendre justice à un injustement oublié c’est ce que fait Patrick Métrope à qui rien n’échappe vraiment de tout ce qui fait sens et chair en littérature. Sa Carmagnole de la fraternité, – La foule tout entière reprit à l’unisson les paroles de cette parodie humaniste qui résonnent à bien des égards comme un rappel des valeurs universelles prônées à ses débuts par la Révolution et la philosophie des Lumières : Liberté, Égalité, Fraternité et Unité,- si elle en fait un petit frère de JJRousseau, en cet été 1794, en la vieille église paroissiale de Sceaux, elle lui vaudra les foudres du Comité de Salut public et son emprisonnement à Port Libre ( ancien couvent de Port-Royal réquisitionné). 26 jours de détention. La chute des Robespierristes le 27 juillet 1794, s’il le sauve de la guillotine, le verra mourir quelques semaines plus tard de la tuberculose. Entendons-le avec la fable le Philosophe et le chat-huant : « Pourquoi ces assassins en voulaient-ils à votre vie/ Que leur avez-vous fait ? L’oiseau lui répondit:/ Rien du tout : mon seul crime est d’y voir clair la nuit ».

Patrick Métrope. En avant les classiques ! Tome 3- Sept phares du XVIIIème -le siècle des lumières – éditions UNICITE – 180 p. 16€-

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