Le Passe Muraille

La Nomédie perdue et retrouvée

À propos de la Bibliothèque nomédienne reconstituée par Alfred Boudry et ses Gaillards d’Avant…

par Jean-François Thomas

A priori, il s’agit d’un livre. Lourd (1kg 110), épais (69 pages), grand (2x 17,3 cm), imprimé sur papier par les éditions de l’Atalante à Nantes. Un ouvrage paru dans une collection dédiée aux littératures de l’imaginaire privilégiant la science fiction, la fantasy et le fantastique.Une introduction, datée du 15 juillet 2028, vient renforcer cette impression. Il y est question d’une panne informatique mondiale et générale qui a effacé une grande partie du savoir de l’humanité. Ont notamment été perdues les informations se rapportant à un mystérieux continent «égaré», la Nomédie, situé au centre de l’Atlantique. «Certains chercheurs n’hésitent pas à dire que cette perte n’est pas la première et que, depuis la nuit des temps, la masse continentale de la Nomédie ne cesse de se montrer puis de disparaître.»

La Bibliothèque Nomédienne est donc un recueil de textes regroupant les rares témoignages subsistants sur ce continent mystérieux. Classé dans un ordre anti-chronologique, les docu-ments réunis reculent de 2028 à 1828, bien que des extraits du journal de La Pérouse et de Bougainville datent déjà des XVIIIe et XIXe siècles.

Mais, au fond, de quoi s’agit-il réellement?

En vérité, La Bibliothèque Nomédienne est le résultat étonnant d’un atelier d’écriture! Sur la base d’une trame et d’un certain nombre de contraintes élaborées par Alfred Boudry, les participants à cet atelier – les «Gaillards d’Avant», soit Poppy Burton, Graham Chadwick, Alain Guyard, Grégoire Hervier, Edwin Hill et Marc Vassart – avaient pour consigne d’apporter des témoignages indirects de l’existence de ce continent chimérique.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils y réussissent à merveille. Les différents documents sont signés de noms imaginaires, qui apportent paradoxalement une certaine crédibilité à l’affaire. A force d’indices qui se recoupent ou se contredisent, on finirait presque par croire à l’existence de ce continent «égaré». L’habileté des auteurs consiste à se référer à des études sérieuses et des noms qui font autorité, comme dans cette étude assez aride de la langue nomédienne. Très variés, les textes apportent des points de vue extrêmement différents les uns des autres et créent pour ainsi dire une utopie virtuelle en lui conférant de l’épaisseur. On peut ainsi lire des journaux de voyage, un rapport scientifique sur le condylure nomédien, une puissante réflexion sur les motivations de l’aventurier, un catalogue d’exposition sur les œuvres de Vrilya Hrönir, dont la visite se fait aux risques et péril du visiteur, des articles scientifiques sur des sciences nouvelles comme la crypto-ethnologie ou l’hypothéticologie.

Au chapitre des réussites, mentionnons Les oiseaux lents, excellent récit, assez génial, bien conduit, d’une qualité littéraire et d’un ton assuré, doté d’un bon suspense. La beauté universelle éussit le tour de force de respecter la vérité historique en confrontant un homme qui semble tout savoir sur la Vénus de Milo et Dumont d’Urville, le 8 mai 182, dans le train qui subira la première catastrophe ferroviaire française à Meudon.

Le recueil contient même un roman, Le nombril du monde, de Marc-Antoine Jean-Julien Hégésippe-Maxence Badeleine-Montesquieu le Haut Rolland, dit «Badin», preuve que l’humour est aussi de la partie.

Mais l’aventure du conti-nent «égaré» ne s’arrête pas là. En effet, Alfred Boudry & les Gaillards d’Avant mettent généreusement à disposition de tout auteur leur univers. Il est donc possible de les rejoindre et de poursuivre l’exploration de la Nomédie en y apportant sa propre contribution.

Les meilleurs textes seront à leur tout publiés sur papier dans un nouveau volume. Tous les détails se trouvent sur http://eratos10.free.fr.

En ces temps de crise, participer à la création et l’évolution d’une utopie, n’est-ce pas un défi fascinant?

Cette Bibliothèque Nomédienne est une œuvre incomparable et captivante. Ce patchwork de récits de toutes sortes qui a pour résultat d’amener le lecteur à douter et à croire, peut-être, à la possibilité de l’existence d’un continent inconnu montre, comme peu de livres savent encore le faire de nos jours, la puissance de l’imaginaire et la force de la littérature.

J.-F.T.

Alfred Boudry & Les Gaillards d’Avant, La Bibliothèque Nomédienne, L’Atalante, 639p.

(Archives du Passe-Muraille, No 78, juillet 2009)

 

 

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