Le Passe Muraille

Haldas le vif ardent

L’écrivain genevois, figure majeure de la littérature romande, fête aujourd’hui ses 90 ans. Son œuvre, notamment consacrée par le Grand Grix C.F. Ramuz et le Prix de la ville de Genève, compte plus de 80 titres.

Georges Haldas passe aujourd’hui le cap de ses 90 ans. Pas un instant, cependant, la notion de «grand âge» ne nous vient à l’esprit à propos de cet éternel ardent, qui notait un jour dans ses carnets: «Ecrire: foutaise. Haute foutaise. Le sentiment d’avoir parfois gâché ma vie. Et surtout celle de mes proches. Vivent ceux qui n’écrivent pas!»
Ce coup de gueule exprimait une méfiance qu’Haldas a toujours manifestée à l’égard de la figure du littérateur, lui qui se définit plutôt comme «un homme qui écrit». Or, il n’en aura pas moins été un écrivain engagé corps et âme dans son œuvre. Consacrée en 1985 par le Grand Prix C. F. Ramuz, celle-ci compte parmi les plus importantes de la littérature romande.
Récemment encore, quatre nouveaux livres témoignaient de la constance et de la vitalité de ce scribe de l’essentiel, illustrant en outre les divers «sillons» qu’il aura creusés en sept décennies: le récit autobiographique avec Ô masœur; l’essai littéraire à forte implication existentielle dans L’Espagne à travers les écrivains que j’aime; la chronique mêlant trajectoire personnelle et tribulations du siècle dans Le tournant, où il évoque sa rupture d’avec Paris et sa rencontre providentielle de Vladimir Dimitrijevic, qui allait éditer tous ses livres; enfin, une suite à sa méditation, en poète inspiré plus qu’en exégète, sur le message évangélique, dans Rendez-vous en Galilée.

Dans son hommage du Grand Prix Ramuz, Pierre-Olivier Walzer parla de Georges Haldas comme d’un «merveilleux professeur d’attention», soulignant la présence au monde intense et rayonnante qui caractérise son rapport aux choses et aux êtres. Sans rien de «professoral», son regard sur le monde ne se borne jamais à l’anecdotique ou au contingent mais vise, à travers la ressaisie des «minutes heureuses» dont parlait Baudelaire, comme lorsqu’il sonde les abîmes de la nature humaine, à dégager le sens, la valeur et la beauté de ce qui semble à première vue chaotique et sans intérêt. Cet effort de transmutation, dans une langue concentrée et voulue directe jusqu’à l’abrupt, se traduit tantôt par les notes immédiates qui nourrissent les fameux carnets de L’état de poésie, tantôt par des poèmes ou des chroniques (forme la plus significative de son œuvre).

Pour lire Haldas
Pour qui n’aurait jamais encore abordé cette œuvre, rappelons les trois récits autobiographiques fondateurs de Gens qui soupirent, quartiers qui meurent, évoquant le Genève des petites gens cher à l’auteur, Boulevard des Philosophes, qu’on pourrait dire le «livre du père», et Chronique de la rue Saint-Ours, son pendant «maternel», rassemblés en un volume dans L’air natal (L’Age d’Homme, 1995).

Compagnon de route des communistes dans sa jeunesse, Georges Haldas n’a jamais adhéré au matérialisme athée, et le raisonnement dialectique a toujours été chez lui soumis à – ou en conflit avec – ses intuitions poétiques et son approche du mal, qui en font un émule de Dostoïevski ou de Bernanos. Depuis une vingtaine d’années, la composante spirituelle, toujours présente chez lui, a nourri une méditation de plus en plus pénétrante sur la base des Evangiles, parallèlement à la vaste entreprise de remémoration intitulée La confession d’une graine.


Finalement cependant, qu’il raconte La légende des repas (L’Age d’Homme, 1987) après avoir célébré celle des cafés genevois ou du football, qu’il s’interroge sur nos relations avec le monde arabo-islamique dans son Intermède marocain (L’Age d’Homme, 1989) ou évoque simplement les bords de l’Arve dans la grisaille du petit matin, Georges Haldas, pétri lui-même de contradictions, plein d’amour et de failles, de lumière et d’ombres, est de ces très rares écrivains contemporains qui, réellement, nous aident à vivre.

JLK

(Portrait: Horst Tappe)

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