Le Passe Muraille

Georges Haldas nonagénaire. Et alors?

Poète et chroniqueur, physique et métaphysique…

par Claude Frochaux

 

Il y a les écrivains de la mémoire et les écrivains de l’imagination. Georges Haldas est un écrivain de l’imagination. Il aime à dire, presque par provocation, qu’il n’a aucune imagination. En fait, il n’en veut pas. Pour lui, imaginer, c’est fuir. C’est renoncer à comprendre, à connaître, à approcher.

Il ne faut pas seulement écrire avec sa tête ou même son corps. Il faut écrire avec sa vie. Avec tout ce qu’on est, tout ce qu’on a vécu. Tout ce qu’on sait, non parce qu’on l’a étudié, mais parce qu’on l’a vécu. Quand on lit Georges Haldas, on ne pénètre pas seulement une oeuvre, on pénètre une vie. Victor Hugo disait : « Ne comprenez-vous pas que quand je parle de moi, je parle de vous?» Et de fait, plus Georges Haldas parle de lui et plus on se sent concerné. Plus il parle de moi.

Georges Haldas est un poète et un chroniqueur. Jamais un romancier. La vie n’a pas à être romancée. Il est chroniqueur, même quand il est poète, et, surtout, poète quand il est chroniqueur. Il est un des derniers écrivains —une race en voie de disparition totale — à avoir une tête métaphysique. Tout ce qui est physique est métaphysique sous sa plume. Et, plus singulier encore, tout ce qui est métaphysique est aussi physique. Il n’y a rien de ce qui est concret qui ne soit aussi abstrait, c’est-à-dire suspendu, figé hors de tout espace-temps. Et rien de ce qui est abstrait, dans le même sens, qui ne soit concret.

Il croit à l’évolution, mais non au changement. Tout bouge, mais tout est pareil. L’essentiel, c’est ce qui reste quand tout est parti. « On ne se baigne jamais dans la même eau », disait Héraclite. L’eau n’est pas la même, mais c’est quand même l’eau. La petite graine, chère à Haldas, finit par germer, et, dessous, une autre petite graine apparaît.

Georges Haldas a 90 ans. Qu’est-ce que ça peut bien faire? Qu’est-ce que ça peut bien lui faire? Il est toujours en état de poésie. Vivant, au plus intime, au plus profond, au plus relié avec tout ce qui est, a été, et sera toujours. Il ne s’est jamais laissé distraire: seul compte l’essentiel, le plus vibrant, le plus vrai. Pour Lui, Dieu c’est cela, ce qui est éternel, le plus vivant, le plus vrai. Le tombeau est vide, mais ce sont les apparences. Pour celui qui voit au-delà des apparences, le tombeau est rempli de vie, de gloire et d’espérance. Il n’y a pas que la résurrection d’un jour, il y a la résurrection de tous les jours. Tout vit, tout meurt et tout ressuscite.

Georges Haldas est là parmi nous et il y sera toujours. Nous l’aimons pour cette seule présence qui est la présence amie, vivante, intense. L’écriture est la version intangible de cette présence permanente et à laquelle nous ne consentirons jamais de renoncer. Nous lui parlerons toujours. Nous le lirons. Il sera là. Parmi nous. Toujours.

C. F.

(Romancier, essayiste et auteur dramatique, Claude Frochaux est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont L’Homme seul, monumental essai réédité dans la collection Poche suisse, à L’Age d’Homme, en 2001)

(Le Passe-Muraille, No 72, Mai 2007)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *