Le Passe Muraille

Exil(s) / Déclic(s)

Pièces inédites de Sébastien Écorce

 

Couleur sans cohérence – loin des voix – et même, à proximité : toujours un exil – l’urgence est lente, indifférenciée – avec des frictions et des grumeaux, une impatience anonyme, empêchée – façon de bec sous la chaussure : pour fuir – le soir fixe la fatigue de nos contours

 

 

Il y a toujours un exil qui reconnecte des voix sans en avoir la maitrise de cette impatience -l’urgence est lente : prostrée sur la falaise : balancée sur le haut des colonnes de schistes :

 

 

Il y a bercé, un exil toujours qui débroussaille l’urgence : une lenteur de chambre de veille et la voix, l’impatience, qui épierrent des eaux que l’on ne nomme pas

 

 

Bercé sur les bords : l’insoumission des eaux : les corps : liste  d’instruments : vacarme de bois noir : l’urgence crée un lieu : le ferme : au-delà de toute attente : l’impatience des voix a fort volume : une partition que l’on arrache au sévère destin : se faire entendre : ou pas : les ordres sans détours : il n y a pas d’ordres : que le sang d’une naissance :

 

 

Sur les bords ; bouture des grands yeux : naissance qui dénoue, sang qui instaure – passage d’un presque-rien en cet esseulement parfait : juste au-dessus de la vie simple – où l’exil sans détours, fait l’urgence incrédule, qui s’oublie : le sable est de papier blanc – teneurs noires au destin abrasif – qu’aurons-nous perdu ? Point immobile – cet ordre d’attente, inextricable des eaux, et du halètement du voyageur extrême

 

 

des corps des camps des corps des camps un arrière-pays une action concertée : frontière de l’urgence : des falaises qui ne protègent plus : motif qui ne filtre : le simulacre des contraires : il y a un oral de l’exil dans les fils électriques lestes autour du pylône : des sacs : toute couleur : précurseurs : des ombres aiguillées dans l’installation de répliques et de vagues composées de réseaux qui endurent  : des secousses cocasses qui éloignent des plaintes et douleurs : l’urgence est ce temps qui anticipe  l’écoulement du sable : sans le maitriser :

 

 

Corps fait sac : corps fait sec dans les noyaux : fait coque : cahier noir des sombres moteurs : comment nuit s’achève si aucun retour n’est possible : on nourrit les ombres de sa propre faim : on se blottit : on s’interdit : on dévale : on fonce : on s’impose : corps ne peut : on fixe : lune dévisage : il n’y a de destinataire que le guet : l’impatience nous accueille : l’urgence est ce long couloir qui ne creuse pas assez ces protections : elle déchire l’étendue : d’autres corps secs n’épuisent pas l’impatience des moteurs : des moteurs qui positionnent nos cartes mentales : on dit l’exil immuable : que nos corps sentent la mort :  la précèdent ou l’attendent : on se réveille :  s’il est encore un lieu ce serait celui du survécu au sommeil :  on entretient la faim par la sévérité des sources de l’exil : et on répète que la mort nous sent : on voudrait se lier dans l’autre dans sa terre : et on vit ce sable froid : pince la peau les tissus mêlés de lumière rase :

 

 

Il n y a de falaises que de cercles mentaux : chiens pissent : crénelés : ces chiens-là n’ont même plus ce temps pour s’ébrouer : à moins que ce soit : nous : ces chiens : ces chiens nous transmettent de leur peur : le migrant est la chiennerie de la trajectoire : il n’y a pas de trajectoire : il n’y a pas de destinataire : il y a un arc de dérives qui freine le récit : le ralentit sur ces marges : ces chiens sans odeurs sont des persiennes mobiles qui contournent les angles et qui ne filtrent aucun visage : cette présence presque abstraite qui se détache des encoches et de ces espaces en retraits : corps sacs sont des petits os sur les lignes de caillots bitumeux : corps sacs sont des diagrammes chaotiques de l’urgence : des trous des pentes des renforts : des carlingues rongées autour des barbelés posés la comme des blockhaus : des langues infinies roulées dans des argiles encore plus lourdes : le reflux du sable est un moteur de surface qui nous préserve : une mécanique fine et horlogère qui nous garde dans cet éveil dur : affame : on ne compte pas la peur : elle en serait presque notre étui : cette note d’arrivée dans la connexion des nouvelles terres : des couleurs presque d’enduis sur le visage des ombres fuyantes des tours de gardes : chacun sait bien que la garde est dans la tête : qu’il y a de garde que de cet espace qui nous sépare de l’autre : lui-même : nie :

 

 

On croque les mots : on les craque : on a faim de mots : on a faim de ces mots qui avancent et qui nous attendent : on les griffe avec nos mains qui allongent les couches fines de sables : on dit à  l’autre que l’on va mourir : que l’on se porte vers l’inconnu mais avec cette fierté souveraine : que ces autres plus ou moins étendus mourront à notre place : on se répète que la mort nous sent : mais qu’elle nous sent comme les chiens nous sentent déjà plus :  l’impatience presque immuable masse nos corps : nos pieds : la lumière ne caresse pas : elle marque le temps : on se réveille sans réellement avoir pu rêver : on se réveille du sommeil de la mort des gestes immobiles : des dieux délaissés ou enfouis de  l’impossible supplice : que l’on se réveille au jour, une nuit mort dans le sommeil dans ce passage qui fonde l’obscur et la clarté : on croit que ce sommeil ne nous absorbera pas tout cette impatience : on se couche avec les paroles d’un sommeil qui ne vient pas : des visages mal éclairés nous approchent : nous filons vers des : refuges : ce qui erre a une familiarité de langage : ce qui erre produit de l’image : ce qui erre a un sens inné de la trajectoire : ces visages auraient pu constituer des béquilles : nous avons préféré nous replier dans nos corridors à chiens :

 

 

Y avait-il eu le début du moindre commencement : le signe d’une angoisse qui tenaille : il y avait ces corps – sacs catatoniques livrés aux bouches sanguines : les yeux de fatigue qui ne se fixaient sur rien : des raideurs qui écartent, isolent et n’épousent plus les contours : des intervalles pour assouplir cette mécanique de peur : que l’urgence fragmentait : nos dieux lançaient certains ne sortent plus des lieux définis ou circonscrits mais sont cette force secrète de la trajectoire et de la familiarité étrange des visages morts : des courses comme des coulées sous la fonte de mots durs : nos comparses de chiens nous démontrent qu’ils ont accès aussi au rêve : que pour nous l’accès se réduit : qu’il n y a pas de voie la plus directe : qu’elle apporte un réconfort sans ouvrir réellement : que l’approche des replis de cette terre froide nous rappelle le visage d’une mâchoire massive : que le bois gris vert fileté de sang n’est peut-être pas le simulacre du mauvais œil : que le liquide désormais froid de nos langues primitives fera raccord avec nos pensées vagabondes qui touchent le tube de villes en ruine : que les chiens nous aideront : à respirer : à  repousser mort à tous ces étages : nous dictant ce qu’il faut pénétrer de ce sommeil : que de se libérer de l’esprit du jeune chien n’est pas d’accroche à notre peau :

 

 

Terre froide fait eau si rêve délétère : tant de corps composent troupeaux de rêves et d’actions engagées : des corps références dans des cases : des tôles vidées : des rails qui foutent le vertige en mobilisant d’autres meutes : de toutes tailles : craignant les barres : les murs d’écritures éphémères à dents nues : des scarifications chronophages d’autres chasses : avec chien dedans : dehors : tout courir aveugle des sirènes sans calculs : corps sur cales de toute origine : de toute espèce : on répète nous sommes tous des chiens dans l’asymétrie des rapports : fermer : ouvrir : boucler : déplacer : repérer :  bergers des guichets et des masses de sables : la mécanique de la peur est un grain parmi d’autres : la trajectoire est macroscopique ou une translation des angles brisés : les tresses et lumières braquées : des mamelles composites et dégingandées : la mécanique de la peur : saut dans la glotte et vite : course : libérer meute de chiens noirs  comme la présence de voix monodiques : se détache des masses de tourbillon sonore : depuis quand les hommes viennent boire a la même place que les bêtes : depuis que nous sommes bêtes ou chiens : les yeux vieux comme la terre : cette justice coule contre les jambes : les béquilles : quand les gestes creusent des tranchées dans les corps de l’indifférence : plein  d’avenir en arrière flexible de quantités de pierres : devant les traits grossiers des troncs séreux :

 

 

Troncation : ramilles séreuses : algues brisant les quelques versions d’un rêve : mousses des os tranchant la gradation de voies peu connues : tant de corps fondent : perdant leur ligne : allure incurvée par le poids rasant des projecteurs : les ombres peuvent lapider : des chiens gravent ces dernières notes d’exil : un arc de parades : de petits gestes nerveux et indifférents : de trajectoires dures et labiles : animalité une peinture fixe de saison de mer : sommes des chiens : du bétail à transpositions limitées : ce qu’ils ne savent pas : cette profondeur subtile de ces vents sacrificiels : que cela porte dans le goût des partitions : que ce ne sont pas que bêtes aux bords : de quels ponts ou de quels confins : que toute trajectoire creuse un crâne d’un nouveau vocable du mouvement : qu’il n’ y a pas que deux temps dans ce laisser tomber : que phrase en suspension puis accrochée est une pupille sur ce rêve : le gravât : qu’il y a ce temps du silence : du passage : que les peaux ne sont pas muettes : qu’elles auront toujours ce rituel du non captif :

 

 

Groupe de réfugiés : si on enlève les termes de diffusion : suspension est un appui : comme syncope : un fond de scène sur mer contradictoire : fine couche interlinéaire : vagues et toiles de butées : tremplin signe boucles : des retours : des ébranchements horlogers : barbelure délimite à même le mouvement au sommet : pas de sommet : des sommations qui retournent les yeux du sommeil : se séparer du mouvement réchauffé par un couple : forcerie partagée en épingle : dans l’effacement de noms : exode est proche de l’état stationnaire : un récit de monde qui ajuste soigneusement sa position : des cortèges : des convois : des groupes informes d’officiels : pas de tombes : pas de noms : une valeur dans ces paquets de chair : une perturbation à l’état de base : des trajectoires dans l’oscillation des radeaux : nos métaphores sont des chiens dans les projets interlinéaires : une convergence en spirale entre écume : oubli et perte : caboter si on replace les termes côtiers de : diffusion : fuite comme immobilité à l’extrémité : bétail dans la position du tunnel : fer sur la mer vaut mieux que pesanteur sur les crânes : il y aura oscillation : instabilité : un vivre amorti : entre nous et : eux :

 

 

Carte du jour crânien : nous parlons peu : enfourcher les lignes : l’enchaînement des tunnels sans rêve ni cauchemar : la bonne vitesse dans l’oscillation des parcours : trop haut ; trop bas : et la réticence des pylônes veilleurs : et la recherche des cercles concentriques des radars : trouver la médiane : diminuer les cours de disparition : sous la fente noire d’une traction : résidus : sommeil ponce entre les saccades : des morceaux de vitres : radeau est dans le crâne : une faiblesse qui fonde : le curseur vers une prairie de : gestes aussi vieux que des dents ou des ongles : sommes déplacés : abrités :  reprisés par des casques de sels :  les dernières épitaphes comme bulles dans l’étincelle : des bruits qui éloignent : souffle homélique sans parole : des cortèges de volontaires : voir de dos les regroupements : c’est muer ou : les lèvres bougent : bergère langue une barrière de contact : syllabes comme des coups d’archets : rabattent l’espace si étroit : attendre dans flot : bruit du sable : bruits de fer primitif : en superposition : crâne mal tourné fait rêver : voir un vide entre les remous : une distance respirable : coincé : en étirer les membres de plomb sous l’essieu des pesanteurs : par paire : entre : baroudeur : isolateur :agrégation des petits coins vibrants d’héritabilités : cette trajectoire à blanc d’un risque porteur : chaque départ un blanc dans l’air : entre oubli et chaos : couronné d’échec traite le sommeil et l’île du retour : des petits drapeaux à bonne vitesse : des variantes dans les marqueurs du retour : toutes les masses de peaux ratatinées sous : dépendance :

 

 

ventre de tôle : pointe dans la langue : ces images de plomb qui engraissent : barrières isolées : crâne des cycles labyrinthiques : corps de veilleurs délestés de chair : chiens sous pylônes changent de lit : frappent au sol : se perdent dans les brumes : nous avançons : voix neutre au-dessus des territoires : ne plus sentir l’inflexion : la courbe des syllabes : des bornes nous prennent pour des croisés investis des dernières clartés : cris et coulis poncent ces passages de troupeaux : plomb colle à l’anticorps : lumière des espaces négatifs : des quelques radeaux protecteurs et de prolongations fugaces : berceuse de la dernière image qui vient : l’expression d’un espace : natif et libre : sanglots des peaux dans coulées de boue : mazout devient venin clair où quelques chiens d’errance viennent s’abreuver : cela donne un rythme dans nos saillies : cela donne un mythe dans la superposition des cartes : une syncope dans l’herbe cramée des : migrations : avec ces gestes de glaciers qui mesurent : gangue : les cycles qui arpentent les mêmes territoires : saison des crânes et des dents qui changent : climat : cartes parlées des courses et des pas rapides : des cages d’attentes : des reflux décentralisés et renaissants : houle apatride dans la protection sourde des bouches : de grand vent : paquets de mer : nettoient : portent : verres qui ne sont plus sur : les yeux : casque à bruit glisse dans bas ventre : quelque chose de l’amitié : de la pointe de lance au : bassin :

 

 

Corps roulés autour d’un cercle : tous égaux entre eux : danse lente dans les rotations : trajectoire repérée par un angle porté au pylône : on écrira point aveugle dans l’infinité des cellules : ou fragment dans l’ensemble des transformations : des voix se dispersent : reprennent couple : il n’ y aura de solution que dans le passage à la limite continue : d’autres voix sélectionnent : modifient l’expression des termes de diffusion : chaque sommet représente une cellule : dont tous les points sont ces corps : enroulés : il y a des frottements dans l’immobilité des vieilles hypnoses : chaque point devient cellule sur un cercle qui fait rotation : si diffusion oscille librement elle infiltre les veines : retourner stabilité des barrières cycliques : bétails lourds qui amortissent chute : dévier la position en maintenant une carte de verticalité : on sait que la stabilité dépend du soliloque du centre de gravité par rapport au point d’appui : des baraquements : ou des cages d’attentes : des rafles coutumières : courbes ne peuvent passer outre bifurcations : signalent valeur critique dans la perturbation des seuils : chaque passage forme une variation : un autre état d’équilibre : chaque point sur le cercle amortit le nombre d’onde : sarcle les lobes de nouvelles concentrations : l’alternance de points définit la pigmentation ou l’indice de la mort : nuit qui colore de façon uniforme :

 

 

Ombre nouée au monde : continuité glissante d’horizons noirs : la profondeur est intraversable – corps roulés cycliquement : localement compacts en séries formelles : sans extension ni concertation – sans respiration – yeux fermés sur le pour et le contre, sur l’attente, la route – conflits sans trace à bout d’affrontement, d’obstacle, de clairvoyance et de pain noir quand le baraquement glacé grandit jusqu’au cri des corneilles, dans la monotonie des chaînes industrielles et le quadrillage des terres arasées – fantôme aux formes frêles d’un équilibre soliloque sur les darses et les docks, les outils les stockages, les poutrelles d’atelier, les abattoirs modèles : mésalliance du corps et du geste, saccadé, raccourci, répété, sur les tapis roulant de fer et leur cloutage  d’heures, de copeaux et de travail aux pièces – la mer empale un avenir de bois, dans les tractations totalisant le monde, par-dessus les têtes –  les têtes d’ombres – des têtes broutées – mais il y a ces danses d’arcs-en-ciel sur l’eau, accueillant sans bruit l’infinité des dires : diffusion librement infiltre les notes, les points cardinaux d’un déplacement sous l’indice du récit : paroles de sang noir une à une fondant l’épopée. Ni ascension. Ni déclin. Il n’y avait plus de danse. Ou il n’ y a que la danse.

 

S.E.

(Extrait d’un texte en cours, 2018)

Sébastien Écorce.

Enseignant chercheur en neurobiologie, prof de neurobiologie, à Paris (CHU Pitié-Salpêtrière/Icm) ; pratique l’écriture depuis une vingtaine d’années. Publication chez Publie.net (« Lignes », avec M. Dujardin), publication dans diverses revues numériques (nouveau recueil, sitaudis, remue.net, Libre critique, Résonance générale). Livres d’arts et d’artistes menés dans les années 90 avec les artistes peintres (D. Dado, Velickovic, Duvillier, Zao Wu-Ki, Alechinsky, Garouste…)

Photographies : J. Prebel (2020)

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