Le Passe Muraille

Enquête au pays Dogon

Un polar noir de Moussa Konaté,

par Hélène Mauler

Enquête au pays dogon par Hélène Mauler«Le Hogon me charge devous dire que rien n’arrive sans raison et que la raisond’Amma n’est pas forcémentla nôtre. » (Moussa Konaté)

À l’approche de l’été, voici un«polar dogon»pour voyager sans quitter sa chaise longue et expérimenter la plage… sans les pavés (littéraires) que nous proposent traditionnellement les rayons des libraires à cette époque del’année!

L’intrigue tient en quelques mots et, bien entendu, son dénouement restera pour l’heure aussi secret que ce qui se dit sur les bancs du togouna, la grande case ouverte à tous les vents qui abrite les conciliabules des Anciens dans les villages dogons : un conseiller municipal a été assassiné à Pigui, au fin fond du pays dogon, et trois autres sont menacés de l’être. Le commissaire Habib et son adjoint Sosso, policiers à Bamako, sont envoyés sur place pour résoudre le mystère de ces morts étranges. Mais au bout de la longue route qui relie la capitale à la falaise de Bandiagara, fief des descendants de Lèbè, c’est un univers à part qu’ils découvriront, où l’on est convaincu que des meurtres peuvent être perpétrés par magie et où les révélations de rituels divinatoires valent toutes les preuves matérielles du monde.

De Bamako au pays dogon, la réalité africaine se dévoile dans toute sa diversité, avec cette pointe d’autodérision qui aide à « chaque jour,faire des miracles avec rien ! ». On suffoque dans les embouteillages de la capitale, on peste avec les enquêteurs qui, faute d’avoir complété le bon formulaire au bon moment, tomberont en panne sècheavant même d’avoir franchi lefleuve Niger, on sourit au portrait de ce conseiller du Ministre qui a acheté son diplôme, puis sa fonction, etl’on n’est pas fâché de sirotervirtuellement une « sucrerie »bien fraîche dans une de cesarrière-cours où passent, par-fumées et pomponnées, lesbeautés locales, et où hurlentles postes de radio dans lalumière des néons.

Et puis l’on découvre les paysages escarpés du pays dogon, les villages ocres où courent les enfants, les minuscules champs d’oignons que les femmes arrosent patiemment, calebasse après calebasse, jusqu’à ce qu’ils se couvrent d’un vert tonitruant, les sépultures juchées dans lafalaise et, bien sûr, la cosmogonie et les rituels dotons qui fascinèrent tant un MarcelGriaule – du moins ce qui est accessible à un esprit profaneet peut être dévoilé.

Ici, l’ami est le « plus-que-frère », le respect des Anciens préside à toutes les relations sociales, les périphrases, les images, les proverbes sont un langage à part entière qu’il faut apprivoiser. Le Hogon, le chef spirituel des Dogons, a la haute main sur cet univers qui bien souvent échappe au rationnel… pour combien de temps encore ?

Kodjo, dit l eChat, a encore sa place àPigui. C’est le grand devin du pays, le sorcier, le maître de science, le gardien du sanctuaire des serpents, et c’est lui qui porte le grand masque de la kanagalors à la cérémoniedu dama. Mais le jeune maire du village, élu à 99 % des 6 % de votants, montre clinquante au poignet et lunettes de soleil rutilantes sur le nez, incarne l’incursion d’autres valeursdans un univers où le dieuAmma et l’ancêtre fondateur Lèbè, par l’intermédiaire du Hogon et des Anciens, ont encore leur mot à dire.Pour nos deux enquêteurs venus de la capitale, il faudra donc entrer dans une autre logique. Car, au pays Dogon, on croit encore qu’il est possible de tuer sans utiliser un earme, mais la fascination de l’argent met à mal les traditions ancestrales et des affirmations apparemment gratuites masquent toujours des faits et des actes. Façonnés à l’école occidentale, adeptes dela rationalité et du cartésianisme, Habib et son compère Sosso découvriront que les Dogons n’appartiennent pas au même monde qu’eux et qu’« il ne s’agit pas, en fait, de faire semblant de les comprendre, mais d’admettre qu’ils ont le droit d’avoir un univers à eux ».

H. M.

Moussa Konaté. L’Empreinte du renard. Fayard Noir, 2006, 264p.

(Archives PM,

 

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