Le Passe Muraille

En marchant plume au vent

   

Patrick Tudoret, en marcheur impénitent et lecteur à l’avenant, propose un livre de vocation qui devrait en susciter…

On savait Patrick Tudoret écrivain de belle plume, nous le saurons désormais de belles enjambées. Empruntant des chemins de traverse de ceux qui, en contrebande de l’existence monotone et toute tracée, font avancer avec, au fond, un optimisme un brin soupçonneux mais jamais malveillant, il fait écho à son très ramassé Petit traité de bénévolence. Ici, il s’agira, lecteurs, de le suivre tout au long de ses promenades à partir de son Vendômois de prédilection et, chemin faisant, dans les nombreux lieux de par le monde qu’il aura eu le bonheur de connaître. Ajoutons à ces cheminements au grand air les rencontres littéraires, les lectures qui auront marqué très sensiblement l’homme et l’écrivain.

À suivre les pérégrinations de cette ode Tudoresque, ses allées et venues, ses musardises nez au vent et sac au dos, il n’est qu’un constat à établir : marcher est affaire de tous les temps, et ce pour les siècles des siècles. Il y aurait donc une liturgie de la marche. D’ailleurs le livre ouvre sur une évocation du chemin de Compostelle « Les pèlerins, aussi, voilà des siècles qu’ils arpentent cette via Turonensis, la plus ancienne des voies partant de la Tour Saint-Jacques, au cœur de Paris, et passant par la ville de tours dont elle tire son nom. Capricieuse et multiple, on lui connaît de multiples ramifications, comme celles qui, depuis Chartres, épouse paresseusement les méandres du Loir. »

Clin d’oeil à un précédent roman « L’homme qui fuyait le Nobel ». S’il sait être un adepte du mille passus de Hugo, la promenade digestive de deux heures, il n’en est pas moins un marcheur patenté, amoureux des espaces et des méditations aux semelles de vent. C’est qu’il y a dans cette activité si simple et si anodine des raisons d’espérer, encore, en l’homme. De cette pratique millénaire, inscrite dans la nuit des temps, trimballant les hommes eux-mêmes au travers de tout ce qu’il est possible de répertorier dans nos sociétés, est né le pourquoi et le comment des êtres humains, leur savoir-faire et leur savoir-être. Ce parti-pris, cette prise d’angle malicieuse, au fil des pages du livre, s’avèrent d’un évident et surprenant réconfort. « Le monde est une branloire pérenne, toutes choses y branlent sans cesse, je ne peins pas l’être mais le passage » écrivait Montaigne (voir p16) Et Patrick Tudoret de compléter : « Oui, devant cet écoulement inexorable du temps, la marche est école de patience et de lenteur » . Voilà que l’essentiel, la substantifique moelle du propos sont recensés en un tour de mots. Et de citer plus avant l’évangile selon Saint-Jean « je suis le chemin, la vérité et la vie », histoire d’enfoncer le clou. C’est que le livre est traversé, de part en part, de la joie de marcher sans autre préoccupation que d’avancer pas à pas, dans la découverte immédiate du temps et des territoires, et d’une gravité aérienne, légèreté de l’être qui marche en dépit de sa charge.

De la furtive éternité…

Sont évoqués toutes les raisons, rappels, justifications jusqu’aux grands philosophes dont Nietzsche, « Ainsi parlait Zarathoustra » et ses trois métamorphoses de l’esprit « comment l’esprit devient chameau,comment le chameau devient lion, et comment le lion devient enfant »(voir p.160) et autres écrivains marcheurs de sorte que, « un pas après l’autre s’engager dans une quête de soi, mais surtout d’un plus loin de soi, d’un plus grand que soi, c’est déjà s’engager dans un processus de construction mentale qui nous identifie au bâtisseur ». « Le fait de marcher relève aussi de l’élan architectural ». Et c’est aussi, s’il en était besoin, réactiver les neurones pensants et conquérir des « instants de furtive éternité ».

Quelques brefs et vifs portraits émaillent des pages inspirées : Charles-Albert Cingria ; « Clodo gyrovague » au béret de bedeau, Cingria était un petit bonhomme épais à la finesse extrême, amateur de marche et de bicyclette. Pauvre comme pas un, riche d’esprit comme douze. Musicien de talent, exégète du plain-chant, organiste de rencontre dans les églises qui bordent sa route, dessinateur, écrivain. Doué en tout, reconnu en rien, ou d’un cercle restreint, dont Paulhan, Claudel, Jacob, Stravinsky qu’il éblouit chaque jour de sa verve saignante, ou poétique, selon l’humeur. Un chrétien du haut Moyen Âge qui n’eût pas bu que du vin de messe. Un Saint-Benoît-Joseph Labre* éclos en Lotharingie, familier d’un galetas de la rue Bonaparte et de la fréquentation des étoiles. »

De ci de là, au gré d’une écriture vagabonde et solide, toujours inspirée, Patrick Tudoret évoque les voyageurs des confins qui allèrent à l’extrême limite de soi, et son Panthéon paysager, tels l’abbaye de Saint-Martin du Canigou, le chemin de Robert Lewis Stevenson et de son ânesse frondeuse et revêche Modestine (Monastier-sur-Gazeille/ Saint-Jean du Gard/septembre 1878), itinéraires si proches de nous.

À sa manière de… Patrick Tudoret dresse l’inventaire des vraies, bonnes et incontournables raisons de marcher à qui mieux mieux, dans un monde où l’évasion est bien plus factice, tronquée que réelle. Cet apprentissage de la liberté qui se cherche et ne s’avoue jamais comme tel mais qui, d’une manière jamais détournée, met en œuvre les forces physiques pour mieux soutenir les forces de l’esprit, devrait combler le lecteur. Par cet acte d’amour, son livre, véritable déclaration des droits et devoirs du citoyen-marcheur envers la nature grande et entière, aux marches des grandes concentrations urbaines, il nous somme, sans le dire vraiment, avec cet art propre à l’écrivain de suggérer sans jamais forcer le trait, de réviser notre attitude, de poser notre regard, de nous ressaisir, de nous apaiser, de prendre notre temps en quelque sorte, à la vue des grands sommets et des vastes étendues d’eaux, aux senteurs d’une campagne profonde, à la découverte des merveilles léguées, à la palpitation du jour et de la nuit, à la force du vent, au pouvoir des étoiles, comme le chemineau d’antan de s’asseoir dans le fossé et s’y reposer. Il met ainsi ses pas dans nombre de ses prédécesseurs, peintres, poètes, aventuriers et amoureux de la Nature, n’oubliant jamais de leur restituer leur dû, savoir l’admiration simple qu’il leur porte mais plus encore la connivence et la parenté qu’il partage à mettre ses pas dans les leurs. De même nous entraîne-t-il dans une réflexion douce-amère, vu les temps que nous vivons, mais l’emportent toujours chez lui, petit sourire en coin, la vivacité d’esprit, l’élégance de bon aloi et, pour reprendre un terme-concept qu’il affectionne, la bénévolence qu’il porte au monde et qu’il espère de lui.

Patrick Tudoret. En marchant. Petit traité de rhétorique itinérante. Taillandier, 196 p. 2023.

 

F.V.

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