Le Passe Muraille

En complicité avec les poètes

 

En écho à La Conversation des poètes de Claude Roy,

par Jean-Pierre Vallotton

Les poètes ont-ils ce que l’on appelle de la conversation ? Les bonnes plumes font-elles forcément de beaux parleurs ? Ou, au contraire, le talent oratoire serait-il inversement proportionnel au talent scriptural ? L’auteur d’une épopée se montrerait-il plus brillant en public que celui de haï-kaïs ? Homère contre Bashô ? Sans nul doute, vaines spéculations.

Aussi n’est-ce point le propos de ce livre. Toutefois, la conversation des poètes est loin d’être absente, puisque, grâce à Claude Roy, qui illumine pour nous la lanterne magique de ses souvenirs, c’est bien la voix de Paul Eluard (voix assez grave, il articulait bien) ou celle de Jacques Prévert (homme bredouillant et volubile, qui parlait sa vie et vivait ses paroles) qui nous sont rendues, au fil des pages, dans leur fraîcheur ou leur mystère, leur laconisme ou leur faconde – accent aigu ou accent grave, selon l’expression de Jean Tardieu.

Conversations également avec les poètes. Et même s’ils sont morts pour la plupart (certains depuis déjà plusieurs décennies, en ne prenant en compte que les contemporains), l’auteur du Voyage d’automne, qu’il les ait connus personnellement ou non, a le don, par la vivacité et la justesse de ton de ses évocations ou de ses études critiques, de redonner à leur présence réalité et feu vivant.

Ainsi du poète des Yeux d’Elsa, dont les nombreuses facettes (d’aucuns diront les masques successifs) sont mises en lumière dans un chapitre qui, par son titre, annonce d’emblée la couleur: Plusieurs Aragons rencontrés en chemin.

Par bonheur, tous les amis ne se comptent pas encore au rang des morts, et ceux d’aujourd’hui, bien présents, sont aussi l’objet d’évocations parmi les plus savoureuses Qu’il s’agisse du maître de go Jacques Roubaud, poète et mathématicien qu’il fut l’un des tout premiers à saluer dans un article du Monde; du flâneur Jacques Réda, piégeur de mille et un événements de la nature, trappeur d’instants charmants ou dérisoires; ou encore du toujours alerte et malicieux nonagénaire qu’est Jean Tardieu.

Le livre une fois refermé, on en vient du reste à se demander si la conversation en question ne doit pas aussi s’entendre au sens premier que nous en révèle Littré, soit manière de vivre, car c’est bien en définitive une leçon de vie, un art de se mettre à l’écoute de ses semblables, qui se dégagent de cet ouvrage. Même, et surtout, si ce semblable est un poète, et qu’il n’est pas forcément des plus aisé de se mettre au diapason du lyrisme à haute volée d’un Saint-John Perse ou à l’opposé des vers parcimonieux et allusifs d’un Guillevic, lequel est évoqué dans un texte intitulé Poésie, parole mémorable, qui mériterait (ce texte) un article à lui tout seul: en une dizaine de pages, Claude Roy fait le point sur le fond et la forme du poème, ses vues, son envergure, sa démission, ses excès, sa situation dans le paysage littéraire actuel; car l’une des vertus cardinales du critique reste de ne pas être dupe des faussaires. Et comme le constate Claude Roy: c’est qu’on peut également faire de très mauvais poèmes avec des sujets modestes, avec pas de sujet du tout, et faire rien avec rien. A méditer…

J.-P. V.

Claude Roy, La Conversation des Poètes, Gallimard, 1993.


A lire aussi: Les pas du silence, suivi de Poèmes en Amont. Gallimard 1993.

(Le Passe-Muraille, No 9, octobre 1993)

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