Le Passe Muraille

En avant les classiques !

À propos d’un florilège poétique au goût de Patrick Métrope…

par Francis Vladimir

En avant les classiques ! Voilà qui sonne comme une facétie poétique. C’est en poésie que l’auteur, tout à la gloire de ses aînés littéraires, nous emmène avec la fougue du temps jadis et le désir de partager en grande clarté l’époque et nous faire connaître les bandits de grands chemins de cette poésie classique pour laquelle il nourrit, on le sent bien à le lire, gourmandise et admiration éclairée.

On hésite à qualifier l’ouvrage d’anthologie tant elle s’en distincte par le choix resserré des huit phares, éclaireurs et éclaireuses en poésie, annoncés en sous-titre du livre. Du mitan du 14ème au 16ème siècle, l’auteur fouille l’histoire telle qu’elle fut, rappelant ainsi la fragilité des hommes et dames de lettres face aux puissants recherchant, avec plus ou moins d’inspiration, des appuis, des protections sans lesquelles il était difficile d’échapper, pour certains, à la prison ou au gibet. C’est que les temps jadis comme il est si bien dit dans les ballades, rondeaux, lais et autres formes d’expression du poème avaient leur lot de déconvenues et plaire au Prince n’était jamais que l’urgence absolue, à laquelle chacun, la plume alerte, s’adonnait sans compter.

C’est donc au travers des poètes qu’essentiellement nous est arrivé l’écho de ce que la littérature inventait alors, disant le monde tel qu’il était de sorte qu’entre hier et aujourd’hui, bien peu semble avoir changé. Il est remarquable, si l’on en croit l’auteur, de noter combien les poètes d’alors lançaient leur adresse aux grands du royaume quand bien même, celui-ci se trouvait en proie aux déchirures, querelles intestines et durables. Dangers venus de l’intérieur, épée de Damoclès pesant de l’extérieur.

Ce faisant, Patrick Métrope bien au fait de ses classiques ouvre en majesté autour de la figure de Bertrand Du Guesclin, surnommé Claquin, qui fut au centre des écrits du poète messager du roi Charles V, Eustache Deschamps, et du trouvère Cuvelier. « Les prouesses que fit le bon Bertrand,/Connétable de Guesclin, qui engrans/ Fut de garder l’utilité publique/ Et qui maintint si sa guerre punique/ Sur les anglais que France reformée/ En fut et est par mainte belle armée ». En pleine guerre de cent ans et de la peste noire, la figure du sauveur se dessine et émerge, ouvrant la voie à la suivante, Jeanne la Pucelle qu’encensa Christine de Pisan, « J’ai entendu parler d’Esther, de Judith et de Déborah qui furent Dames de grand mérite par lesquelles Dieu délivra son peuple de l’oppression, et de plusieurs autres femmes courageuses, par l’intermédiaire desquelles Dieu accomplit de nombreux miracles, mais jamais autant que par l’intermédiaire de cette pucelle », ce qui annonce, bien plus tard celle d’un certain Charles de Gaulle qui, lui, se plut à en appeler aux Anglais, contrairement à nos classiques obstinés. Boutade à part, il y a bien dans cette poésie de l’icône, la volonté de servir une cause, d’en faire entendre les tenants et les aboutissants. Quoi qu’on en pense, il y a peut-être là des éléments d’une poésie de circonstances et de contrebande qui dit les faits et contrefait, en catimini, l’allégeance que le poète se devait d’avoir pour ces maîtres. Mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil de l’époque et de la poésie si l’on admet que les temps d’alors étaient durs et incertains et pour les poètes et pour les maîtres.

L’auteur se plaît à nous plonger dans le mystère Villon, poète maudit et coquillard (truand débauché) supputant une fin, retiré du monde, beaucoup plus digne que ce que fut sa destinée tiraillée entre ses origines du peuple revendiquées, « Pauvre je suis de ma jeunesse/ De pauvre et de petite extrace/ Mon père n’eut onc grand richesse,/ Ni son aïeul nommé Horace. / Pauvreté tous nous suit et trace ; », les aléas de ses errances, la canaille lui fut toujours proche, et sa soif de vivre qui semble avoir été l’atout majeur et de sa vie et de sa poésie. Le rappel des péripéties, des chausse-trapes incessants, des fuites et disparitions mais aussi des soutiens successifs du poète rendent formidablement compte du fait que l’homme était souvent, englué jusqu’au cou dans les méandres de l’existence. Mais tout cela nous est conté avec légèreté, souci du détail jamais forcé, en rappel des circonstances qui éclairent le pourquoi et le comment de la chose, et lorsqu’une hypothèse est posée, toujours l’auteur vient la soutenir avec logique, le plausible des situations, l’évidence du constat.

Le propos n’est pas de disséquer et répertorier, ce qui aurait pour seul effet d’affadir, d’autant que l’auteur de ces lignes méconnaît ce dont nous entretient Patrick Métrope qui, dans les conférences successives qui font la chair de l’ouvrage, sans paraître y toucher, distille sa connaissance pointue et malicieuse, certains diraient érudite, de l’histoire de la chose écrite poétique telle qu’elle nous est rapportée dans ces pages qui nous entretiennent aussi de Rabelais, Marguerite de Navarre, Clément Marot et Montaigne nous livrant avec grande simplicité et documentation à souhait, l’intérêt philosophique, l’humanité et « la valeur de vérité » de chacun d’entre eux, distinguant de ci de là, de petites perles d’impertinence tels les propos, en rappel du XVII siècle suivant, de la critique moraliste d’un Jean de la Bruyère à la dent dure « Marot et Rabelais sont inexcusables d’avoir semé l’ordure dans leurs écrits : tous deux avaient assez de génie et de naturel pour pouvoir s’en passer, même à l’égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu’à rire dans un auteur. Rabelais surtout est incompréhensible ; son livre est une énigme, quoi qu’on veuille dire, inexplicable ; c’est une chimère, c’est le visage d’une belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête plus difforme ; c’est un monstrueux assemblage d’une morale fine et ingénieuse et d’une sale corruption : où il est mauvais, il passe bien au-delà du pire, c’est le charme de la canaille : où il est bon, il va jusques à l’exquis et à l’excellent, il peut être le mets des plus délicats. ».

Pour notre part, cet ouvrage fait oeuvre salutaire et si la poésie prétendait encore nous rouler dans la farine des possibles, si elle s’obstinait à taquiner nos consciences, les tournebouler en quelque sorte par sa défense de l’infini, réduisant en étoiles de mots ou en poudre de perlimpinpin, les obsessions du poète et l’attente d’un nouveau monde, peu nous importe puisqu’à la fin des fins, le poète en vient, sur le champ de bataille des mots ou en sa tour d’ivoire, à fourbir sa volonté pour en finir une fois pour toute. Et recommencer sans cesse. De sorte que Patrick Métrope n’en aura jamais assez de la poésie et des poètes. Mais on le sent bretteur, ferrailleur, querelleur mais toujours admiratif des grands phares. Et il n’est pas anodin de lui signifier que ce premier tome est une belle et bonne base pour un sémaphore, à l’ancrage solide, sur les côtes, revêches et généreuses à la fois, de la poésie des hommes, toutes époques confondues.

 

F.V.

Patrick Métrope, En avant les classiques ! Éditions Unicité – 160p -2023 – 15€ –

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