Le Passe Muraille

Ella Maillart reporter

Pérégrinations au Far-Est nippon,

par René Zahnd

«Je suis ainsi faite que je veux toujours aller aux endroits qui semblent m’être interdits.» Quelques dizaines de pages plus loin: «Mais ici les faits sont dépouillés et simples, comme seule la réalité sait les fa-çonner.»

Ces deux phrases, cueillies dans une suite d’articles d’Ella Maillart aujourd’hui publiés en recueil, ont une valeur quasi totémique pour l’auteur d’Oasis interdites et de La Voie cruelle.Pérégrine dure au mal, intrépide et sans romantisme aucun dans sa façon d’aborder le voyage, elle a déjà derrière elle quelques échappées mémorables lorsque, en 1934, le rédacteur en chef du Petit Parisien (le quotidien le plus important de l’époque) l’envoie dans le Mandchoukouo, territoire aujourd’hui connu sous le nom de Mandchourie, rien de moins alors qu’un empire créé de toutes pièces par le Japon, aussi vaste que la France et l’Allemagne réunies.

Les enjeux économiques et stratégiques sont énormes, dans ce que la reporter nomme le Far-Est nippon. Les ren-contres, les observations, les expériences diverses étoffent sa vision d’une réalité peu com-mune: ici est appliqué un plan méthodique de substitution d’une culture par une autre et aussi de modernisation, par le développement forcené des transports et de l’industrie lourde notamment.

Les interventions incessantes de policiers plus ou moins futés rendent son travail difficile. Souvent prise pour une espionne à la solde de l’ennemi soviétique, elle butte aussi contre la haine raciale. On clame sans détour la fin de la toute-puissance des Blancs. Et sans raison apparente, à bord d’un train, la soldatesque la roue de coups. Elle se défend bec et ongles, mais c’est sans doute grâce à son rire qu’elle sauve sa peau.

Par rapport aux grands livres d’Ella Maillart, ce volume ne constitue pas une révélation majeure. Mais il remplit une «zone blanche» dans la chronologie de la nomade. De son ton si particulier, dénué de pittoresque et de toute pose littéraire, elle saisit aussi un moment très particulier de l’histoire, comme le souligne Gilbert Etienne dans sa préface.

Dans ce monde, les humains sont soumis à de rudes épreuves par des événements qui les dépassent, alors que plane la hantise de toutes sortes de guerres, qui ne manqueront d’ailleurs pas d’éclater. Fidèle à elle-même, Ella Maillart regarde, photographie, note, interroge, se documente, perce la membrane des apparences, allant toujours de l’avant, car «ses grands pieds sont ceux d’un coureur d’univers.» (Paul Morand)

R.Z.

Ella Maillart, Envoyée spéciale en Mandchourie. Editions Zoé, 2009, 141p.

(Archives PM, No 79, octobre 2009)

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