Le Passe Muraille

D’un vieil homme l’autre

  

À propos de No country for Old Men, du livre au film,

par Pascal Ferret

Vaut-il mieux lire d’abord Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme de Cormac McCarthy, et ne voir qu’ensuite le film qu’en ont tiré les frères Ethan et Joel Coen, ou voir d’abord celui-ci et ne lire le roman qu’ensuite ?
Poser la question revient à se demander ce que le film apporte au livre ou ce que le livre apporte au film, et la réponse me semble alors toute simple : que le film apporte au livre des images visibles alors que le livre déploie en nous les invisibles images d’un beaucoup plus grand film.
Dans l’état actuel du cinéma américain, l’on pourrait dire que le film des frères Coen est, sinon la meilleure, du moins la plus admissible transposition qu’on pouvait attendre d’un roman qui est bien plus qu’un thriller de la frontière où la violence se déchaîne : une méditation sur le mal qui court et la barbarie qui revient. Or le blues lancinant qui traverse tout le livre se retrouve bel et bien dans le film, comme s’y retrouve, même éparse et comme affadie, la menace physiquement perceptible de la justice démoniaque exercée par le Méchant.

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Les remarquables acteurs qui incarnent respectivement le shérif Bell, figure du Bon (Tommy Lee Jones) et le redoutable Chigurh, figure de l’absolu Méchant (Javier Bardem) constituent une paire visible tout à fait admissible, bien plus étoffée évidemment dans le roman mais non moins cohérente et nettement dessinée dans le film. De la même façon, les paysages et les objets ne nuisent pas à la visibilité plus profonde des images du roman. Curieusement cependant, c’est dans ce qui constitue le propre du langage cinématographique que le film des frères me semble le plus défaillant par rapport au livre, par le défaut de rythme et de densité qui fait que la violence explose comme dans n’importe quel film actuel plus qu’elle ne s’affirme comme la décréation du monde constituant le job du Diable.


Aux yeux du lecteur superficiel, le roman de Cormac McCarthy peut faire figure, je l’ai constaté, de polar raté, tandis que le film « tient » au même regard de surface, alors qu’il peine, aux yeux de qui voit vraiment ce qu’il y a dans le roman, à faire voir vraiment ce que, peut-être, un film plus physique et métaphysique à la fois (je pense au fulgurant En quatrième vitesse de Robert Aldrich) eût vraiment montré…

P.F.

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