Le Passe Muraille

Douleurs et saveurs

 

À propos du Harem en péril, nouvelles de Rafik Ben Salah,

par Janine Massard

Rafik Ben Salah est né en Tunisie, d’un père instituteur, grand connaisseur de littérature française. Après son bac, il fait des études à Paris, obtient un diplôme de journalisme et une licence en lettres puis s’établit en Suisse romande où il fonde une famille. Il enseigne le français au Collège de Moudon.

De par son origine, il appartient à cette mouvance d’écrivains francophones qui enrichissent la littérature et la langue par l’utilisation qu’ils font d’une réalité sur laquelle coulent des mots français aux prolongements exotiques, à l’instar d’un Chamoiseau, d’un Glissant ou d’une Gisèle Pineau. Cela donne une écriture originale, pleine de surprises et tout en renouveau.

Les dix nouvelles qui constituent le recueil Le Harem en péril ressemblent à une mosaïque dont chaque partie éclaire l’autre par le motif et la couleur. Et si la couleur est sombre, cela n’empêche ni la vie de circuler ni le monde d’évoluer. Car il s’agit bien de l’évolution d’une société installée dans la durée, avec tout ce que cela comporte d’ignorance, et qui voit le changement arriver et la science s’installer au milieu du village. Ainsi quand le ventre de Selma, fille d’Aïcha, grossit, il n’y a que la faute comme explication. Une maladie y est impossible, le ventre d’une femme est fait pour que la vie y germe, ainsi l’a voulu Allah. Les explications compétentes du médecin n’ont aucune prise sur la famille. Et quand le dentiste Nawas arrive au village après avoir passé par l’université, le barbier n’en croit pas ses yeux: pas besoin d’étudier pour arracher des dents, donc Nawas est un type louche, et que peut-il bien faire avec toutes ces femmes qu’il reçoit ? Qui est ce touriste allemand qui s’intéresse tellement à Khlifa ? Les nouvelles de Rafik Ben Salah s’organisent autour du choc entre modernité et tradition, pauvreté et richesse: ces forces contraires amènent le drame et la cruauté, mais quelle que soit l’issue entre ces deux forces, seul Allah détient le pouvoir de connaître la réponse. Il n’empêche que les suppositions et la rumeur occupent beaucoup de gens et causent beaucoup de mal.

Grâce au talent de l’auteur, voici projetées en littérature ces histoires de Tunisie par le biais du ton de la langue orale, restituée par un lettré. Rafik Ben Salah sait poser en une seule phrase le décor humain: «Ainsi donc, l’Allemand n’aurait pas eu que de la compassion humaine, ou était-ce lui, Khlifa, homme monstrueux, misère et frustrations aidant ?» «Cette histoire sortie des ramures du dire, entre à présent dans les branches du ouïr. Mais Allah seul connaît la vérité.» Ben Salah a une manière unique de transformer en art une réalité brutale. Il y met de la couleur, des sons, des saveurs, il nous offre ainsi un recueil qui ne ressemble à rien et qui est un vrai plaisir de lecture.

J.M.

Rafik Ben Salah, Le Harem en péril, nouvelles, L’Age d’Homme, 1999.

(Le Passe-Muraille, No 42, Juillet 1999)

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