Le Passe Muraille

Dans l’atelier du poète

 

Sur les Carnets d’Alexandre Voisard, Au rendez-vous  des alluvions,

par René Zahnd

Ecrivain au long cours (son premier livre, Ecrit sur un mur, date de 1954), Alexandre Voisard a choisi de révéler au public une part importante de ses carnets. Il ne s’agit pas, on s’en doute, d’un journal intime au sens classique du terme, plutôt des traces de questions, de souvenirs, d’expériences confiées aux pages, et qui prennent l’allure à la fois de miettes mémoriales et du matériau accumulé dans l’atelier du poète.

Le titre de l’ensemble en appelle à une existence fluviale: Au rendez-vous des alluvions. Mais le cours de l’ouvrage, ici, ne suit pas celui du temps, puisqu’il se subdivise en plusieurs parties, qui viennent comme naturellement s’irriguer les unes les au-tres. La première, et la plus conséquente, s’intitule Djoffe, mot tiré du patois ajoulot, dont la signification est à rechercher du côté de l’écume et de la mousse. Sur près de 250 pages se succèdent alors les notations. C’est d’un véritable amoncellement poétique qu’il s’agit, où alternent les formes brèves proches du haïku et des textes plus étendus.

L’ensemble témoigne de la présence au monde d’un homme, qui sans relâche scrute le coin de pays qui est le sien, qui s’étonne, s’émerveille, s’enthousiasme pour une plante, un papillon, un oiseau, ou relève simplement ce qu’il observe, et tous ces petits morceaux de réel qui se suivent, se répondent, parfois drôles, parfois graves, heureux ou mélancoliques, disent le bal des saisons et des âges. Ce sont les traces que laissent la marche d’un homme, la trace de ses pas sur le blanc de la page. C’est simple, c’est beau, c’est direct, et le lecteur se promène dans ce monde comme Alexandre Voisard dans sa forêt, à écouter le chant des mots comme le poète guette celui de la grive musicienne. Et de temps à autres, on s’arrête plus longtemps, ému, intrigué: «Ne laisse pas / s’étrangler la parole / dans ta gorge nouée.»

Après Djoffe, suivent des parties aux textes parfois plus ouvragés («D’un calepin de brindilles»), ou qui gagnent en am-pleur (Décritures, Carnets furtifs). Se succèdent des récits de voyages, des souvenirs. On passe d’une ville à une autre, de l’évocation de rencontres souvent énigmatiques dans les trains à la description des rêves. Les sens sont en éveil, la parole affûtée. L’amour et le désir ne sont jamais loin.

Dans Mémoire des Busclats, Alexandre Voisard nous fait partager ses rencontres avec René Char. Un joli exercice de portrait, qui montre le célèbre poète dans son univers, le trait d’esprit vif et toujours en quête d’authenticité, que ce soit en écriture ou en cuisine. On est loin de la statue hiératique et secrète taillée par certains parangons !

Au rendez-vous des alluvions: près de 500 pages pour une foison de mots, d’images, d’impressions, de réflexions. Par sa matière, ce livre témoigne aussi de la dimension artisanale qu’est l’écriture. Il dresse en creux le portrait d’un poète toujours en mouvement, dans le frémissement du monde, dont la fibre va-gabonde se double d’une vocation méditative.

De toute manière, comment ne pas être aux côtés d’un homme qui écrit: «Rivière, un jour tu m’as offert ton lit. Désormais tu me donnes des ailes. Je ne te rattraperai jamais. Merci.» ?

R. Z.

Alexandre Voisard, Au rendez-vous des alluvions, Bernard Campiche Editeur, 1999, 474 p.

(Le Passe-Muraille, No 42, Juillet 1999)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *