Le Passe Muraille

Comme une traîne d’humanité…

   

À propos de Spleen au Lavomatic, roman  de Valère-Marie Marchand

par Francis Vladimir

« Il n’était qu’un frêle jeune homme, souriant d’allégresse et en quête des mots pour vivre ». Voilà qui eût fait un incipit de première main pour ce premier roman de Valère-Marie Marchand. Et un peu plus loin : « Il n’attendait rien de ses semblables, si ce n’est qu’ils lui fichent un peu la paix ». Patatras ! Les carottes sont cuites. Mais qui est donc cet Emilien Dorval ? Un joyeux drille, un décalé de la vie, double ou marionnette de l’écrivaine. A le suivre de la première à la dernière page on se sent pris d’une irrésistible envie de partir dans un éclat de rire si irrépressible qu’il finirait bien à faire le tour de la terre, tellement la tonalité de ses aventures à la laverie 66 du coin a ce petit rien de foutraque fleurant bon le plaisir et le bonheur de vivre. Quoi de plus simple, pour une écrivaine que de s’embarquer dans une histoire sans queue ni tête, que de suivre un trentenaire à l’allure d’homme en devenir et de lui prêter par le biais d’une imagination débordante mais d’une acuité sans failles, un apprentissage de la vie. Voilà donc que notre jeune ami, prenons d’emblée nos aises avec ce quidam sorti de nulle part ailleurs, campé, s’il en était besoin avec un art du portrait qui n’appartient qu’à VMM et on se souvient de son club des aquarêveurs, de sa galerie de figures hilarantes au bord des grands et petits bassins, en passant par les pédiluves incontournables de toute piscine digne de ce nom, inénarrable déjà tant la comédie humaine sur laquelle elle se penchait pour le grand plongeon qu’elle n’hésitait pas à faire, valurent à ses lecteurs des pleurs et des flots de rires. C’est qu’il y a chez cette écrivaine un art consommé de dire les petits travers de l’existence avec l‘à-propos et la constance du castor, dont on sait qu’il aime à construire des huttes et des barrages dans les courants, un art, donc, de bien faire les choses et notamment de portraiturer celles qui sont de l’ordre de l’humaine condition. Il est vrai qu’une période pas si lointaine que ça a pu lui faciliter la tâche. Confinement aidant, rien ne pouvait mieux lui advenir que de prendre son mal en patience, d’observer ses semblables, de repérer les lieux et territoires qui nous étaient accessibles par le Sésame que chacun s’octroyait avec son autorisation personnelle de circuler une toute petite heure. C‘est sans doute pourquoi VMM a circonscrit son histoire à un territoire, ce XIème arrondissement de Paris, aux abords de la Bastille avec ses nombreux passages… de l’Homme entre autre, et ses trois grands axes, l’interminable boulevard Voltaire, l’inévitable boulevard Richard-Lenoir et la trépidante rue de la Roquette ( on songe là au film de Cédric Klapisch de 1996 – Chacun cherche son chat  ) – qu’elle connaît comme sa poche et qu’elle s’est plu tout particulièrement à jeter son dévolu sur le lavomatic, qualifié de manière un peu olé olé… du coin soit au numéro 66 d’une rue ensoleillée. (Rappelons ici le film de Stephen Frears de 1985 My beautiful Laundrette).

Il lui fallait pour raconter une histoire   un petit bout de plausible et là, bingo, a défaut d’en faire son marché elle y a fait sa lessive, sa grande lessive (comme signalé les grandes lessives, premier roman de Georges Conchon). Or donc, un personnage hors norme, fier mais introverti, Emilien, tout émoulu de ses rêves d’écrivain – « Il n’avait qu’une obsession : écrire, écrire, écrire. Une fois son manuscrit ouvert, il redevenait lui-même. Il ne trichait plus. Il ne tergiversait plus. Il ne rêvait même plus. Il écrivait. Et ce faisant, il se sentait enfin vivant. » -ou autrement dit de scribe qui entreprend de sustenter son humanité naissante à la joyeuse ribambelle qui navigue dans son lavomatic de prédilection. Va s’ensuivre une suite de figures typées (à découvrir à la lecture), les unes plus hilarantes que les autres, certaines en retenue, d’autres en caractères gras comme si la fréquentation de leur lavomatic devait les laver et essorer de la crasse et des odeurs imperceptibles que le quotidien se charge de déposer en catimini. Et l’histoire d’Emilien advient à la faveur d’un petit somme et de la perte d’un manuscrit, le grand œuvre d’Emilien, et tout ceci fait que VMM s’en donne à cœur joie, juxtaposant dans son roman trois strates de lecture, bien réjouissantes : à la recherche du manuscrit perdu (un thriller, je vous dis) la peinture des affidés de la laverie 66 (un atelier d’artiste, je vous dis) et l’examen clinique du syndrome d’Emilien qui a nom synesthésie (un cabinet de consultation, je vous dis). Il va sans dire que l’écrivaine se plaît à donner à son écriture saveurs et couleurs, et vice versa, plongeant négligemment, l’air de pas y toucher, dans son incomparable connaissance de la littérature dont elle interroge les tenants et les aboutissants, entreprenant tardivement l’écriture de ce premier roman afin, dit-elle, de ne pas encombrer les rayonnages des librairies. Qu’elle se rassure, Spleen au lavomatic a cet allant qu’on souhaite à bien d’autres romans, cet allant et cette joie transparente qui traversent les trois cent pages de son livre sans que jamais l’essoufflement ne s’y fasse sentir. C’est que VMM architecture son livre et tient bon, sans faiblesse et sans forcer plus qu’il ne le faudrait l’exposition de la nature humaine. Elle y met sa pâte et sa patte comme celle d’un peintre, et il est amusant de relever qu’elle ponctue toujours ses livres de dessins qui lui sont propres. Toujours cet œil avisé et averti pour s’amuser plus avant que ce que la plume seule concède avec maestria (elle avoue un faible pour La nausée de Jean-Paul Sartre et le Parfum de Patrick Süskind). Oui, Spleen au Lavomatic est un livre qui étonne de par ce qui pourrait s’apparenter, au premier abord, à un défaut d’ambition et qui eût été de s’attaquer à une grande destinée. VMM a, par le passé, montré qu’elle savait être biographe, mais l’étonnant de la vie est sans conteste pour un esprit éclairé, malicieux et curieux comme elle l’est, ce qui se niche dans l’improbable et l’imprévu, et qui demande qu’à se laisser débusquer, choyer et … emballer. C’est ce que sait faire, sans tambour ni trompette VMM, un rien féline, avec cette aisance du verbe, cette souplesse du ton, cette familiarité attentive d’écrivaine, cette chaleur communicative et débordante, cette passion intérieure qui l’amuse elle-même mais dont elle sait qu’elle est l’indispensable vertige pour capter le lecteur, le distraire au besoin, aux rires et aux sourires, et par là-même, lui enseigner, dans l’énoncé de préceptes en apparence farfelus, le sens de toute vie. Et si elle collationne, en La Bruyère de notre temps, pour notre plus grand bonheur, les multiples caractères qu’elle fait se télescoper dans la laverie 66, sous le regard en coin d’Emilien, posté face à la machine n°6 (affectionnée par les ados en recherche d’appart.) c’est qu’elle sait que l’un n’est jamais que le multiple acceptable de tous, et Emilien avec sa cohorte de rencontres, fantômes ou spectres qui le suivent, le croisent et décroisent, sa mère, son hypothétique amie, sa psy, ses correspondants pour lesquels il pige sur des sujets impossibles et sans grande chance de succès – ( il faut lire sa mélodie en sous-sol sur les 450 kilomètres d’entrailles de plomb qui ont transporté, durant plus d’un siècle et dans les plus brefs délais tout ce que la capitale avait à dire… le courrier express autrement dénommé Pneu – Cf le film Brazil de Terry Gilliam en 1985)-, bref tous ceux qui font la traîne d’humanité aux épaules de ce grand gaillard, un brin perdu, un brin rêveur, un brin brouillon et un brin rangé, ce qui fait quatre tiers bien tassés, nous entraîne dans un kaléidoscope propre au «synesthète » et qui, par les effets retardés du roman et un effet non moins inquiétant et humoristique du survivalisme, feront, des lecteurs de VMM, des gourmands de la vie.

                                                                                                           Francis Vladimir 

Valère-Marie Marchand, Spleen au lavomatic. Editions Héliopoles, 300 pages – 2024.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *