Le Passe Muraille

Clairières de l’enfance

À propos de La Maison dans l’arbre, de JLK
par Jalel El-Gharbi
La poésie de Jean-Louis Kuffer est à lire comme une sémiologie de ces signes imperceptibles et tout aussi éloquents qui nous entourent telle une « forêt de symboles ». Affiliés à la clairière de l’enfance, ces signes interpellent d’autant plus fort que la jeunesse est révolue, qu’elle n’est plus que ses traces, lointaines réminiscences, prédelles d’antan témoignant d’un vécu fait de dépossession et dont il ne demeure qu’un regard quasi fantomatique :
Ce sont les enfants d’un hiver
qui me fait aujourd’hui froid,
et tous leurs yeux, toujours ouverts,
nous scrutent de là-bas…
L’enfant est ici une figure emblématique de la rémanence et un compagnon des questions ontologiques résultant du voisinage entre l’être et le silence. L’enfant vient d’un espace-temps qui s’offre sous le mode de pans, de bribes, d’éclat. Ce qui se trouve confirmé de la sorte, c’est la nature elliptique de toute autobiographie poétique. Poétiquement, c’est ce qui confère au recueil son rythme tout schubertien. L’ellipse n’est pas que narrative ; elle est mode d’organisation du monde et de son imagerie. A la réflexion, c’est cette figure qui permet d’apparier la chose et sa négation, à la manière de « l’obscure clarté ». Dit autrement, il y a de l’ellipse dans l’oxymorique contiguïté entre l’être et le néant, ici tempérée en synonymie / antonymie clair-obscur :
Le clair et l’obscur confondus
dans le ciel éveillé
des rêves des enfants perdus
se mêlent à jamais…
Il y a ce qui se dérobe au dire et il a toujours trait à l’essentiel. Cela dicte au souvenir le mode qui lui convient le mieux : la réminiscence dont l’équivalent rhétorique est la synecdoque du type pars pro toto en vertu de quoi l’enfance perdure dans les détails qui font l’ensemble : les jeux, le goût du chocolat, la cheminée, le lac, les peurs archaïques et les noms des amours surannées ainsi que ceux des lointaines amitiés.
Tout se passe comme si l’art poétique était un développement sur le silence « aux bienfaits légendaires » plutôt que sur le verbe :
Le silence où l’on n’entre pas
contient tout le secret
des horloges et des forêts
descendant là-bas vers la mer
d’où nous étions montés…
Cette vocation à dire le silence, à signifier l’absence trouve son expression dans la reprise du motif du ubi sunt :
Que sont devenus les angles,
les morts et les obtus
que l’Esprit à renfort de sangles
et d’arguments massues
n’a su capter en son filet
aux mailles ouvertes aux vents ?
Cela explique pourquoi il arrive souvent, sous la plume de Jean-Louis Kuffer, que le verbe « dire » comporte un coefficient de négation.
Puis impromptu arrive le train mélancolique des dix-huit ans : ses départs, ses rencontres, ses séparations, tout cela dont la Suze au « goût de terre dorée » peut sans doute rendre compte avec ses indissociables connotations de plaisir et de déplaisir.
Et l’on devine les lectures de Jean-Louis Kuffer: Proust, Kazantzaki, Rimbaud, Supervielle, Verlaine et les chansons de la jeunesse, tout ce que les adieux – toujours prématurés – ravivent et à quoi peut faire pendant un Valéry ou, mieux encore, le voyage de la lecture, les voyages aux quatre coins du monde (Vienne, Sienne et tant d’autres villes qui ne riment pas avec) et les innombrables références littéraires. Cela donne au texte un tissu de renvois intertextuels dont il est agréable de suivre les voies ou de démêler l’écheveau. Hasardons tout de même à cet égard les noms de Hölderlin et celui de Pessoa.
Valise des mots remplie les yeux fermés.
Pratique pour le voyage :
invisible / visible.
Ce battement visible / invisible qui structure le recueil où il se décline à l’envi laisse un arrière-goût hésitant entre l’amertume des choses finies ou appelées à l’être et la délectation que procure la haute teneur poétique du recueil.
Jalel El-Gharbi

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