Le Passe Muraille

Chroniques coloniales

 

À propos de Congo-Océan d’Elisabeth Horem,

par Jacques-Michel Pittier

Avec Le ring, prix georges-Nicole 1994 paru cette année-là chez Bernard Campiche, Elisabeth Horem avait signé un premier roman très prometteur, qu’imprégnait l’ambiance vénéneuse de Tahès, une de ces villes-capitales d’un pays en voie de développement où l’étranger s’il n’y prend garde, est amené malgré lui à perdre ses repères pour s’enfoncer peu à peu dans un exil délétère. Très apparentes alors, les qualités d’écriture d’Elisabeth Horem, (saluées depuis par le Prix de la Commission de littérature française du Canton de Berne et plus tard par le Prix Michel Dentan), le relief de ses personnages, son sens des climats surtout, se confirment aujourd’hui dans Congo-Océan qui, bien que très différent du Ring s’inscrit dans la même continuité romanesque.

On est là aussi quelque part dans une Afrique plus onirique que réelle, mais cette fois au cœur d’une petite ville de Galibie située au bord d’un fleuve, dans une sorte de temps suspendu où présent et passé se mêlent en un subtil entrelacs d’impressions et d’évocations.

Pas de récit au sens propre, mais bien plutôt un savant patchwork narratif, un incessant ballet de personnages qui se cherchent dans cet ailleurs exotique, dont les destins se croisent, se confondent parfois, se heurtent l’espace de quelques pages avant de diverger brusquement. C’est un peu comme si celui qui dit «je» dans ce livre, et qui n’est pourtant pas le vrai narrateur, avait accumulé, au fil des recherches qu’il fait dans une bibliothèque, et pour mieux les sauver de l’oubli ou de la destruction, toute une série de clichés, d’images, de chutes de films, de fragments de dialogues qui, mis bout à bout, formeraient une manière de chronique coloniale. C’est l’histoire d’Irène qui domine cependant, une jeune femme arrivée autrefois à Port-Moguer pour se marier, et qui, séduite par un mystérieux aventurier, mettra au monde une fille, Hélène, que l’on retrouvera, dans un temps ultérieur du roman, en train de soigner sa vieille mère à l’hospice. Mais très vite apparaissent de nouveaux visages, non moins attachants, celui entre autres de l’ethnologue, du routard en attente d’un bateau en partance, de Miléna, une femme de mœurs légères qui, parce qu’il faut bien vivre, fait monter «des messieurs» dans sa chambre, au grand dam de sa logeuse dont le fils Yann est décidément trop curieux, celui de Pierre aussi, le malheureux fiancé d’Irène.

Cette alternance de portraits, tantôt esquissés en touches lé-gères, tantôt plus appuyés et plus nerveux dans leurs traits, confère une certaine magie à Congo-Océan. On pense par instants à quelques scènes descriptives de Coup de Torchon de Bertrand Tavernier, non pour l’humour grinçant ou l’ironie féroce du film, mais bien plutôt pour ce qu’il exsude de nostalgie ambiguë et parfois pesante. Enfin, on appréciera la maîtrise avec laquelle Elisabeth Horem multiplie les plans, les points de vue, les regards, les angles de description, faisant en cela un véritable travail de mise en scène romanesque dont le résultat est tout à fait remarquable.

J.-M. P.

Elisabeth Horem, Congo-Océan, roman, Bernard Campiche Editeur, 1996.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *