Le Passe Muraille

Chronique des jours tranquilles

   

À propos du roman de John McGahern, Pour qu’ils soient face au soleil levant,

par Anne Turrettini

John McGahern dépeint dans un texte qui vient de paraître en traduction française sous le beau titre, Pour qu’ils soient face au soleil levant, un monde bien éloigné des modes, de l’agitation et de la fureur du monde d’aujourd’hui.

L’histoire se déroule dans la campagne irlandaise, sur les bords d’un petit lac. Kate et Joe Ruttledge, qui ont longtemps vécu à Londres avant de venir s’installer dans ce coin perdu pour le silence qui y règne, sont au coeur du roman. Elle dessine, il fait quelques travaux d’écriture, mais ils tirent l’essentiel de leur gagne-pain de leurs champs et de leur bétail et travaillent durement. Il y a aussi celles et ceux qui gravitent autour de ce couple lumineux : leurs voisins, Mary et Jamesie Murphy, âmes simples et tendres, qui vivent sur le même lopin de terre depuis qu’ils sont nés, ainsi que quelques personnages d’allure plus sinistre, tels Johnny, John Quinn et Patrick Ryan.

Dans ce petit monde rural, traditionnel, où le téléphone n’est pas encore installé, les portes des maisons restent généralement ouvertes et les visiteurs arrivent souvent à l’improviste. Les conditions de vie sont précaires; le lien social est fort, ce qui n’empêche ni les disputes, ni la goujaterie. Kate, Joe, Mary et Jamesie se retrouvent souvent
autour d’un whisky (c’est fou ce que l’on boit dans ce roman !) ou d’une tasse de thé selon un rituel bien précis. Ils parlent des voisins, de tout et de rien. Les Ruttledge reçoivent régulièrement la visite de Bill Evans, un orphelin placé depuis de nombreuses années comme homme de peine dans une ferme, qui vient qué-mander des cigarettes et le dimanche, celle du Shah, l’oncle de Joe, un célibataire endurci au coeur d’or, qui possède une petite entreprise prospère.

Il n’y a pas véritablement d’intrigue dans Pour qu’ils soient face au soleil levant. On peut même dire qu’il ne: s’y passe pas grand-chose. La vie s’écoule, ponctuée d’événements ordinaires : travaux des champs, moissons, mises bas des vaches et des brebis, vente du bétail, rencontres, fêtes, mariage, décès…

Le récit, qui se déroule sur une année, est rythmé par les saisons ; le lac, les hérons, le gibier d’eau, les cygnes et la végétation, magnifiquement décrits, constituent presque un personnage à part entière.

L’atmosphère sereine, parfois teintée de mélancolie qui se dégage de ce roman donne à certains épisodes, tels que la toilette mortuaire du frère de Jamesie ou le récit de l’assassinat de jeunes nationalistes irlandais, une puissance et un relief inattendus. Mais sous la plume de John McGahern, la force de l’écriture naît aussi, comme par magie, de moments ordinaires : «Ce furent des jours tranquilles. Enfin, ils n’apportaient ni tranquillité, ni bonheur particuliers, mais ils véhiculaient la sensation, semblable à une rivière souterraine qu’un jour viendrait où le souvenir de ces journées serait celui de temps heureux, tout ce que la vie pouvait donner de satisfaction et de paix » …

A. T

John McGahern. Pour qu’ils soient face au soleil levant. Traduit de l’anglais (Irlande) par Françoise Cartano, Albin Michel, 2003, 432 pages.

(Le Passe-Muraille, No 59, Décembre 2003)

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