Le Passe Muraille

Chessex posthume

Etonnant: quatre ans après sa disparition subite, en octobre 2009, Jacques Chessex nous revient avec Hosanna, bref roman de sa meilleure veine, sans rien du « fond de tiroir ».

C’est à vrai dire du « pur Chessex » que cet Hosanna, qu’on pourrait situer dans le droit fil de L’Imparfait, récit autobiographique merveilleusement délié, paru en 1996 chez Campiche. Pour être juste, cependant, l’appellation roman est bel est bien appropriée, en l’occurrence, même si le narrateur apparaît comme le double évident de l’écrivain, comme le plus souvent. De fait, ledit protagoniste acquiert ici une sorte d’autonomie de personnage dans ce qu’on peut appeler un véritable espace romanesque. Par ailleurs, sans qu’on puisse parler de cynisme, cette relation d’un enterrement « par chez nous » se dégage de toute morosité par une sorte d’humour terrien et de singulière bonté à l’égard des figures évoquées du vieux patriarche alémanique qu’on enterre, d’un illuminé qualifié de « fou des tombes », d’une jeune fille-chat consolant le narrateur des rigueurs de la vie et de deux jeunes gens morts à la fleur de l’âge, l’un fauché par le cancer et l’autre par le désespoir suicidaire.

Le temps d’un service funèbre en deux temps et deux langues dans un temple étroit où les cantiques seront accompagnés par un « vieil harmonium tribal des rudes campagnes », le narrateur, confronté à la « belle mort » de son voisin nonagénaire aimé des siens et qui a fait oeuvre utile sur terre en fondant diverses fromageries et autres porcheries, se rappelle la laide fin de son père suicidé et sa propre vie d’irrégulier, à la fois jouisseur et tourmenté, de la race « marquée par l’austérité du remords » et soudain hanté en ce lieu, par la vision mentale d’un Visage en lequel il identifie un gymnasien de dix-huit ans, fasciné par la mort et lecteur de ses livres, qu’il se reproche de n’avoir pas su retenir du coté de la vie.

Or cette remémoration lancinante, qui lui fait imaginer le corps fracassé du jeune homme au pied du pont Bessières, s’inscrit dans un tableau plus ample dont la lumière et les ombres rappellent explicitement les romans du grand écrivain bernois Jeremias Gotthelf (auteur notamment de L’Araignée noire) auquel le vieux voisin de l’écrivain l’a d’ailleurs comparé. Rien de lourd ou d’artificiel, au demeurant, dans ce rapprochement quasi « biblique », tant le roman s’enracine naturellement dans notre terre et ses gens: ces jeunes athlètes de Gampelen saluant le drapeau devant le cercueil du défunt, le voisin lui-même offrant le miel de ses abeilles à l’écrivain, ou celui-ci (qui ne serait pas Chessex sans ce détail) se rappelant le geste fou d’une maîtresse se marquant le corps d’une croix sanglante au rasoir.

« Il y a ceux qui sont en haut, avec le voisin et sa foi, et ceux, en bas, qui agitent leurs histoires comme des guenilles », constate encore le narrateur, dont le récit s’exacerbe soudain, rythmé par l’expression « on est suivis, on est suivis », sur des visions de personnages silhouettés à l’acide sur fond de violence: « Des gens foutent le feu à des fermes, tout le monde sait qui, personne ne dit rien »…

Mélange d’intensité véhémente et de tendresse, révolte et soumission à l’incompréhensible Dieu, folie et douceur cohabitent dans ce livre dont le titre signifie, non sans mystique paradoxe, louange…

Jacques Chessex. Hosanna. Grasset,118p.

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