Le Passe Muraille

Chapeau bas en toute liberté

     

À propos du Guillaume Tell, résistant et citoyen du  monde, d’Alfred Berchtold,

par JLK

Il est aussi intéressant de voir certains cracher sur l’emblème « complète-ment ringard », n’est-ce pas, que représente la figure de Guillaume Tell, que d’assister à la récupération du mythe par ceux, à gauche ou à droite, qui n’ont de cesse d’en instrumentaliser l’image au service de leurs idées et positions. Guillaume Tell père de la nation, dont Christoph Blocher soutient la célébration schillérienne sur la prairie mythique du Rütli, ou Guillaume Tell nouveau Che Guevara défiant les baillis du capitalisme mondialisé, sont aussi légitimes à vrai dire, mais réduisent-ils alors le personnage à une marionnette à costume réversible ? C’est la question qu’on ne cesse de se poser en lisant la passionnante somme qu’Alfred Berchtold a consacrés aux mille avatars littéraires, artistiques ou politiques du personnage à travers le monde, dont nous découvrons pour le coup l’incroyable rayonnement, justifiant aussi bien la publicité d’un film américain des années vingt : « The best known story in the world »…

Est-il intéressant et décisif de savoir si Guillaume Tell a réellement existé en Suisse, et raisonnable de penser qu’une conclusion négative ruinerait définitivement la validité de la « story », qu’elle soit historique un peu ou, pour l’essentiel, légende reconstruite ? La réponse à cette question est, à mes yeux, donnée par la somme kaléidoscopique des images recueillies par Alfred Berchtold, et qui sont bien plus que des icônes figées : les éléments d’un débat toujours recommencé sur les imbrications de la violence et de la liberté, du prix de l’insoumission et de la dialectique liant ou opposant révolte individuelle et transformation sociale. Autant dire que l’histoire de la réception du mythe est aussi, sinon plus importante que la «vraisemblance» de celui-ci, sans invalider pour autant sa signification propre.

Avec Guillaume Tell, Alfred Berchtold nous emmène dans un fabuleux voyage autour du monde, d’Altdorf à Manille ou des Carpates en Amérique du Sud, mais également à travers les siècles, durant lesquels le personnage a nourri la controverse, représenté les aspirations populaires ou nationales les plus variées et cristallisé des réflexions souvent antagonistes, de Bakounine à la « Défense spirituelle » suisse en passant par Engels et le mythe solaire, le pacifisme et Salvador Dali…

Alfred Berchtold se gausse de « ceux à qui on ne la fait pas », les mêmes souvent qui se réjouiront de voir s’afficher le logo publicitaire de Ben proclamant que « La Suisse n’existe pas».

A ceux-là, et même au risque de passer pour «helvétiste », ce dont je me fiche bien, j’ai envie de dire que leur servilité à l’égard des modes et de l’esprit du temps ou des nouvelles conventions d’un anticonformisme de plus en plus subventionné, et leur façon de s’incliner devant mille tyranneaux sans cesser de poser aux rebelles de salon, prouve décidément la pérennité révélatrice de Guillaume Tell et justifie l’acte d’Alfred Berchtold, type d’humaniste « universel » ne levant jamais son chapeau devant l’Ignorance ou le Préjugé, le Pouvoir académique ou le Savoir verrouillé.

« Qu’il le veuille ou non, Alfred Berchtold est par excellence l’humaniste dans son incarnation la plus jubilatoite », déclarait Nicolas Bouvier lors de la remise du Prix de littérature de la Ville de Genève, en 1995. Et d’ajouter : « L’humaniste est non seulement cosmopolite, mais surtout polyglotte (…), aussi sensible au parfum des grimoires et des papyrus qu’à ce que Blaise Cendrars appelait le profond aujourd’hui (…), en aucune façon homme du passé ni prisonnier de la chronologie. »

À lui je tire à mon tour mon chapeau en toute liberté…

J.-L. K

Alfred Berchtold. Guillaume Tell, résistant et citoyen du monde. Zoé, 381 pages.

(Le Passe-Muraille, Nos 64-65, Avril 2005)

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